Chute Libre

15 octobre 2012

Je viens de voir la vidéo montrant la chute de Baumgartner, depuis une altitude de 39.000 mètres.

 

 

D'après son interview, il s'est fait très peur, quand il est parti en vrille, en ne voyant strictement rien, probablement à cause de la buée qui s'était déposée sur sa visière. Un chauffage de sa visière avait pourtant été prévu. Mais au cours de l'ascension, qui dure au total deux heures et demie, vers 20 km d'altitude, Baumgartner signale que son système de désembuage par chauffage de sa visière ne fonctionne pas correctement. Mais à 39 km d'altitude il saute quand même. Il dégringole de 36 km, atteint la vitesse de 1.341 km/h (Mach 1,24). Il est ainsi le premier parachutiste à franchir ... le mur du son.

http://en.wikipedia.org/wiki/Red_Bull_Stratos

Sa combinaison est pressurisée, sinon, à l'altitude de 20 km, sa salive se mettrait à bouillir. C'est l'altitude où règne une pression de 47 mm de mercure (limite d'Amstrong) et où l'eau (et tous les fluides corporels humains ) se met à bouillir à la température de 37°. Un homme, laché dans l'espace à une altitude supérieure, sans combinaison pressurisée, ou avec une combinaison déchirée, verrait son sang se peupler de bulles.

Mais au fur et à mesure qu'il descend, sa visière se couvre de buée. N'ayant plus de repère-sol, il est incapable de piloter sa chute. Quand il part en vrille, je me demande même s'il sait dans quel sens il tourne ! Bonjour l'angoisse. Finalement, Baumgartner ouvrira son parachute à 2500 m après une chute libre qui durera au total 4 minutes 19 secondes.

Ca m'a rappelé un souvenir : ma première chute libre. J'avais 20 ans.

 

 

J'avais fait mes dix ou quinze sauts en automatique, en sautant d'un Haviland Dragon, l'avion que Léo décrit très bien dans sa bande dessinée Kenya, dans plusieurs tomes (je vous recommande cette série de cinq, elle est excellente).

 

Le de Haviland Dragon

 

Le Dragon c'est aussi l'avion de films de de Funès, de même que le planeur C-25S, qu'on voit à la fin de la Grande Vadrouille, est celui sur lequel j'ai appris à vélivoler.

 

Le C-25-S, un biplace.

Un détail concernant cette machine : le C-25-S ne décrochait pas, il ... parachutait, descendait mollement.

Voir à ce lien les commentaires sur l'usage de ce planeur dans La Grande Vadrouille :

http://nimotozor99.free.fr/planeurs-grande--vadrouille.htm

Revenons au parachutisme. Ca marchait bien. A l'époque on sautait avec des " hémisphériques ", des surplus de l'armée, très usagés. Il y avait parfois des trous dans les voilures. Alors nos moniteurs les marquaient en les tourant de ronds de stylo à bille, avec la date. Il arrivait que le trou s'aggrandisse d'un coup. Alors on se retrouvait avec ... un parachute à fente. On arrivait au sol un peu plus vite, mais guère plus que les 6 m/s d'une descente normale.

On faisait "des poignées témoins". C'est à dire qu'on sautait, avec une SOA, une sangle d'ouverture automatique. Mais on avait une poignée d'ouverture "commandée", engagée dans son logement, avec le câble filant dans sa gaine. Au bout de trois secondes, on la tirait. Ca montrait que dans ces saut, on n'était pas complètement dans le potage, qu'on gardait conscience de ce qui se passait.

Bref, au bout de quinze sauts, mon moniteur me dit " Bon, tu vas sauter en commandé ". On équipe alors le parachute en conséquence. Le Dragon décolle, monte à 600 mètres d'altitude. Le passe sur l'aile gauche, en me tenant aux montant, face queue. Et hop, je saute. Je compte :

- Un, deux, trois .....

et je ramène ma main droite sur la bretelle gauche, pour saisir la poignée.

Pas de poignée.....

J'ai des gestes d'un type qui cherche ses clés. Puis je réfléchis, avant de me décider à tirer la poignée du ventral.

- Bon sang, cette poignée, elle doit bien être quelque part !

J'envoie les mains derrière ma tête et se sens la gaine métallique, qui émerge du parachute, et qui virevolte.

 

Bien sûr, elle est cousue sur la bretelle gauche. Le parachute est vieux, la couture a simplement lâché. Je saisis le bazar à deux mains et je tire. Mais pendant ces trois secondes de "réflexion", je me suis décambré et je suis passé sur le dos. Je vois le parachute qui me passe entre les jambes.

Heureusement, à cette époque, on était passé aux " parachutes à gaines ", dits " suspentes d'abord " et non " voilure d'abord ". Ce que vous voyez émerger entre mes jambes n'est pas la voilure du parachute, mais une longue chaussette en nylon, à l'intérieur de laquelle la voilure était enfilée. Les six mètres de suspentes étaient alors fixées en zig-zag sur un rabat, à l'aide d'élastiques. Le machin, en haut, est un extracteur, sorte de fanfreluche contenant un ressort à boudin, dessinées pour une prise au vent maximale. Ce truc sort en premier, prend le vent et tire le parachute. Puis les élastiques fixant les suspentes cassent. Tous ces efforts ralentissent le temps de déploiement du parachute, et ces efforts on pour effets de remettre le maladroit dans le bon sens, tête en haut et pieds en bas.

Dans les parachutes à caisson, les "parachutes modernes" (par rapport à ces antiquités), la temporisation de l'ouverture est obtenue par un réctangle de fort nylon, qui enserre les suspentes, en quatre ensemble, passant dans de gros oeillets, et ne les libère que progressivement, en descendant, pour se placer au dessus de la tête du parachutiste.

 

Le " glisseur "au dessus du parachutiste.

 

Toujours au niveau des anecdotes, ces antiques parachutes hémisphériques présentaient un comportement singulier, quand on les ouvrait en chute libre, à 50 m/s ( une vitesse normale, qu'on atteint au bout de 8 secondes de chute). Quand ils s'ouvraient, ils captaient une forte masse d'air, qu'ils accéléraient vers le bas. Tout l'air environnant la voilure était "suraccéléré", ce qui faisait que la voilure se refermait presque complètement, en ne laissant qu'une entrée de 50 cm de diamètre, pour se rouvrir enfin définitivement. Revenons à mon premier sauf en chute libre.

Au sol, mon moniteur accourt.

- Qu'est-ce que c'est que ce travail ? Trois secondes, ça n'est pas six !. Et tu as ouvert en étant sur le dos. Ca ne va pas du tout !

- Tu as vu le parachute que tu m'as filé ?

- Oh ... bon dieu !

Et là, tous ces gens se disent " Ce type a un sang froid d'acier". On me surestime, on me surévalue. Tous les moniteurs veulent avoir ce type qui est allé chercher la poignée, au dessus de sa tête. Et c'est là que ça se met à dérailler. Je ne suis pas plus doué qu'un autre. Mais, au saut suivant, on me passe sur 10 secondes de chute libre, puis 20 à mon trisième saut. Une progression trop rapide pour le débutant que je suis.

Imaginez que vous veniez de faire votre premier vol sur monomoteur léger et qu'on vous passe au vol suivant sur un chasseur de la seconde guerre mondiale, un Spitfire, puis au troisième sur un jet.

A cette époque, on sautait " en T ", et non pas comme maintenant, avec les bras et les jambes écartées et fléchies. On devait garder les jambes jointes, tendues, et tendre les bras, cambrer au maximum. Ma foi, je faisais de mon mieux. Et soudain je suis parti en vrille, comme l'Autrichien. Pourquoi ? Parce que sans doute mes deux jambes jointes n'étaient pas à la même hauteur, et que ça se comportait comme un volet.

Pour tourner, je tournais. Et ça s'accélérait. Je réfléchissais, mais on ne m'avait pas appris comment "piloter" cette bizarre machine volante qui était mon propre corps. Je me suis tortillé pour essayer d'arrêter ce mouvement de tounis. Je ne sais pas ce que j'ai fabriqué, mais du coup ça s'est mis à tourner dans l'autre sens, encore plus vite. Quand ça a atteint un tour seconde, j'ai tiré sur ma poignée d'ouverture.

Le parachute s'est ouvert, mais les suspentes s'étaient enroulées. J'ai fait deux ou trois tours sur moi-même, dans un sens, puis deux dans l'autre et finalement ça s'est arrêté.

 

 

Tout ça pour dire que quand on fait une vrille en chute libre, on se sent mal. Normalement, ça n'arrive pas. A propos de l'Autrichien, c'était encore plus limite, étant donné qu'il était équipé d'un parachute à caissons, dont le déploiement est plus délicat que pour un hémisphérique. On voit sa voilure sortir, sur la vidéo. Son déploiement est retardé par un "ralentisseur d'ouverture, qui équipe ces "parachutes modernes". Je ne sais pas à quelle altitude il a ouvert, complètement aveugle...

Dans ce sport, des tas de choses se produisent, qui ne sont pas dans les manuels. J'ai un copain de 90 kilos qui a fait un carreau sur le capot de la 2 CV d'une bonne soeur, qui freinait comme une malhereuse. Je ne vous raconte pas l'état de la voiture. Ma petite amie de l'époque, Annika, une suédoise, avait intempestivement ouvert son paracxhute trop haut. Du coup elle a raté la dropping zone. Cherchant un endroit où se poser, elle a avisé un rectangle bien dégagé, dans une ferme, et a fait un carreau dans la fosse à purin.

Un jour, quand je sautais avec un vieux pantalon de toile, un peu déchiré au niveau d'un poche, un compagnon m'a dit :

- Ton pantalon, tu devrais songer à le revendre, si tu ne veux pas perdre dessus.

Au saut suivant, j'ai senti quelque chose qui gigotait, au niveau de ma jambe gauche. Quand je me suis posé, j'avais perdu une jambe de pantalon, lequel s'était déchiré net au niveau du fessier. En tregardant en l'air, j'ai vu cette seconde jambe de mon pantalon qui descendait tout tranquillement.

 

Avec un hémisphérique, on descend à 6 mètres à la seconde, la vitesse qu'on acquiert en sautant ... d'un mur. Rappelez-vous les formules :

Si vous sautez et que vos pieds touchent le sol à 6 m/s, cela corrrespond à un temps de chute de 0,6 seconde et à mur d'un mètre quatre vingt de hauteur.

Cette vitesse de descente permettait de faire des blagues que ne permettent plus les parachutes d'aujourd'hui, véritables petites ailes. J'en ai été victime à mon premier saut en automatique. Un parachutiste aguerri m'avait dit :

- Tous les hommes aiment pisser dans l'herbe. Mais quand on descend en parachute, c'est encore mieux.

Moi, comme un idiot, je l'ai cru ....

Je devrais figurer dans le Guiness des records. Je suis en effet, à ma connaissance, le seul homme qui se soit mis K.O. lui-même avec son propre poing.

Un jour, je saute, toujours avec cette antiquité sur le dos. 20 secondes de chute, j'attrappe la poigné, sur le sein gauche.

Rien, coincée....

Peut être un peu de gravier. Je ne saurai jamais. Mais dans ces cas-là on est capable de déployer une forte qui vous ferait arracher un bouton de porte. Je tire et je percute la pointe de mon menton avec la poignée.

Je me suis retrouvé allongé dans l'herbe, avec des copains qui me donnaient des claques pour me tirer de mon évanouissement.

- Alors, qu'est-ce qui t'est arrivé ?

Je m'étais mis K.O. c'est tout. Mais ma poignée, je ne l'avais pas lâchée.

 

 

 

Mais l'histoire la plus folle se situe quelques années plus tard, en sautant toujours d'un Dragon entoilé. J'ai trouvé cette photo d'un Dragon exposé dans un musée, avec un parachutiste qui s'apprête à quitter l'avion.

 

 

Quand on sautait, la porte était en fait enlevée. Le parachutiste (débutant) prenait pied sur l'aile, se tenait au montant qu'on aperçoit, et sautait face queue.

 

Un jour le stick est prêt à sauter. Le moniteur, qui est assis près de la porte, s'apprête à faire passer les élèves les uns après les autres. Les premiers sautaient en ouverture automatique. Soudain l'un d'eux panique, se crisque sur le montant et regarde le vide. Le moniteur :

- Mais saute, Bon Dieu ! On va effacer la dropping zone.

Le type ne saute pas. On dépasse la zone de larguage et le biplan vire. Le moniteur :

- Bon, si tu ne sautes pas, tu rentres.

Il faut vous dire qu'en Dragon, on largue à 70 km/h. On peut donc papoter tout à son aise.

Le type, les yeux exorbités, ne rentre pas. Les secondes passent, puis les minutes. Les exortations du moniteur restent sans effet. Le type, dans un état second, ne veut rien savoir. Le pilote enchaîne les virages, au dessus du terrain. Le moniteur tend le bras pour attrapper le gars. Affolé, celui-ci se déplace sur l'aile et s'accroche aux haubans.

Le pilote se met à hurler :

- Mais qu'est-ce que vous foutez !?!

Le gars se tient debout sur le plan inférieur, crispé sur son hauban, les yeux exorbités tournés vers le vide.

 

 

L'avion est déséquilibré. Le moniteur, au bout d'un moment.

- Je ne peux pas le laisser comme ça. Il faut que j'aille le chercher !

Il prend à son tour pied sur l'aile et vas vers le type. Celui-ci lâche alors le premier hauban et se met dans la tête d'aggripper le second, presque en bout d'aile.

 

Heureusement, il perd pied et part dans le vide. Sa SOA se tend et ouvre son parachute.

 

 

Le pilote redresse l'appareil. Le moniteur revient dans la cabine et s'éponge le front.

- Des comme ça, je n'en avais jamais vu ! ....

J'ai retrouvé, il y a dix ans, le gars qui pilotait le Dragon. On était dans le mess d'un petit aéroclub, près d'Avignon. S'il lit ces lignes, il pourra confirmer mes dires. Ca m'évitera de passer pour le Tartarin de Tarascon du parachutisme.

X années plus tard, je devais avoir une petite soixantaine, il me vient à l'idée de refaire des sauts. J'appelle le club d'Aix en Provence.

- Vous voudriez refaire du parachutisme, dites-vous. Mais vous avez combien de sauts ?

- Je pense environ 200. J'avais mon "second degré".

- Ah, c'est bien. Et votre dernier saut date de quand ?

- 1962...

- Ah....

On m'a confié à deux jeunes moniteurs. Ils me mettent un parachute sur le dos.

- Comment ajuste-t-on le ventral ?

- Ah, monsieur, il n'y a plus de ventral depuis plus de 30 ans.

- Ah bon ! Vous sautez sans parachute de secours ?

- Mais non, il est dans votre équipement dorsal, au fond.

- Ah ....

Ces deux jeunes réalisent que, pour moi, tout a changé. Sur la bretelle gauche est maintenant positionnée la poignée du parachute de secours. L'ouverture est déclenchée par un cabillot, positionné sur la cuisse droite. De plus où tire au bout de 10 secondes, et non 3, pour être bien face sol. Les parachutes à caissons demandent à ce que la position du parachutiste soit mieux contrôlée.

Ma foi, je refais des sauts en automatique, des "poignées témoin". C'est à dire que cette fois il ne s'agit plus de ramener symétriqueent les deux bras sur les bretelles, pour que la droite attrappe la poignée d'ouverture. Il faut combiner deux gestes, dissymétriques, en envoyant sa main droite sur sa cuisse droite et sa main gauche devant sa tête, pour conserver son assiette.

Je m'exécute. Ca se passe normalement. Mais pour mon premier saut en commandé, j'ai aussitôt perçu une tension à bord. Il se disaient tous :

- A son âge, il va tout mélange et tirer sur la poignée de secours au bout de trois secondes.

J'ai bien senti.

- Le largueur avait peur.

- Les autres parachutistes avaient peur

- Le pilote de l'avion, un petit Cessna, un Allemand ancien pilote de Starfighter, avait peur.

Je me suis efforcé de les rassurer, quand j'avais déjà les jambes qui pendaient dans le vide, par la portière de l'avion.

- Ne vous inquiétez pas. L'ouverture, c'est le petit machin, sur la cuisse droite. Sur la bretelle de gauche, c'est la poignée de secours. Et on attend dix secondes avant de tirer.

 

Ca s'est bien passé.

 


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