La Recherche
13 janvier 2004
En ce moment des chercheurs manifestent contre les réductions de crédits. Pas mal de gens m'ont demandé :
- Monsieur Petit, vous qui avez eu derrière vous toute une expérience du monde de la recherche, quelle est votre position sur tout cela ?
Aucune question ne doit être esquivée. La réponse est difficile. Le problème a de multiples facettes. La recherche est une activité conduite par des hommes. Celle-ci a deux facettes : la recherche fondamentale et le développement.
Il y a une quinzaine d'années j'étais à Moscou avec le journaliste Patrice Van Eersel. J'avais revu mon vieil ami Vladimir Golubev. Dans ma carrière les occasions de voyage ont toujours été rares. Van Eersel connaissait un type qui s'appelait Goldwin qui avait organisé un "Space Bridge" mémorable. Les Américains avaient pu voir en direct leur président discuter avec son homologue soviétique. Tout cela avait été projeté à New York d'un côté, à Moscou de l'autre, sur écrans géants. On avait mobilisé les gros moyens de l'époque. Goldwin proposa quelque chose de plus modeste, utilisant une liaison téléphonique entre Moscou et une petite ville du Minnesota. D'un côté il y avait une classe d'une high school, de l'autre de jeunes Russes. Tout ce petit monde avait dans les treize-quatorze ans. Le contact son fut effectué. Puis nous pûmes échanger des images. Le moyen restait primitif. Il y avait une petite caméra vidéo en noir et blanc qui saisissait une image. Il fallait ensuit mobiliser la ligne téléphonique pour transmettre l'image, ce qui prenait quelques minutes. L'image reçue apparaîssait alors sur l'écran d'un micro-ordinateur qui n'avait sans doute pas grand chose à voir avec celui que je manipule en ce moment. Une imprimante inscrivait alors une image d'une dizaine de centimètres de large, sur du papier thermique.
Le contact fut ainsi établi entre ces deux groupes de gosses. Il y eut deux photos de groupe qui franchirent les quinze mille kilomètres qui nous séparaient. je remarquais un grand gamin avec les oreilles décollées. Nous demandâmes un gros plan de lui. A partir du cliché je fis un portrait de lui et cette image fila de nouveau à l'autre bout de la Terre. Les jeunes Américains demandèrent qui j'étais. Les Russes leur parlèrent, en Anglais, seule langue possible pour qu'une communication puisse s'établir, de mes bandes dessinées, dont l'une venait d'être publiée à Moscou. Ils voulurent avoir un gros plan d'une image. Une grande partie de la nuit passa à jouer avec tout cela. Les gosses du Minnesota chantèrent du folk song avec leur prof, qui les accompagna avec sa guitare. A Moscou nous fîmes de même, avec la miennes. Les enseignantes Russes avaient de fort jolies voix.
A l'époque le fax n'existait pas. Aujourd'hui nous pouvons balancer des images, du son, aux quatre coins du globe. Hier j'étais dans une rue d'Aix. Mon portable se mit à sonner. J'avais un sms. Je l'affichais. C'était mon amie Jacqueline, partie une semaine plus tôt.
- Je vois l'Anapurna. C'est magnifique.
Dans quelques années, dans peu d'années, en n'importe quel point du globe on pourra parler avec n'importe qui, voir son image s'animer sur l'écran d'une machine qui tiendra dans le creux d'une main.
Le TGV bouleverse l'idée que nous nous faisions des communications. Il est plus facile à un Parisien d'aller passer son week-end dans une maison de la région d'Aix que de gagner l'équivalent en région parisienne. Un jour les gens circuleront sur des trains à lévitation magnétique, à huit cent kilomètres à l'heure. Décidément, des choses changent.
A quoi servent les chercheurs, dans tout cela ? Il y en a de deux espèces, ceux qui font du développement, de la "recherche appliquée" et ceux qui font du fondamental. Le téléphone portable, les satellites, le TGV, la lévitation magnétique, le RMN, etc, tout ça c'est de l'application. Il y a de gros profits à faire. Ca intéresse les industriels, les politiques. Le fondamental implique un effort à long terme dont les retours sont moins évidents et c'est là que les choses se compliquent terriblement. Nous ne vivons pas dans une époque l'explosion scientifique, sur ce plan, mais de stagnation. Notre physique théorique stagne, notre biologie stagne, notre astrophysique stagne.
Au tournant du siècle nos connaissances subirent une profonde mutation. 1895 : découverte de la radio-activité par Becquerel. 1932 : découverte du neutron par Chadwick. J'aimerais que quelqu'un crée une revue imaginaire, qui serait l'équivalent de "La Recherche" ou de "Science et Vie" de cette époque. Vous imaginez les manchettes :
- On vient de découvrir une particule, l'électron. Sa charge et sa masse ont été mesurées. Il se confirme bien que ces minuscules objets transportent ce que nous appelions le courant électrique. Mais par un caprice du hasard il va dans le sens inverse de celui que nous avions choisi.
- La matière est bien faites d'atomes. Un néo-zélandais, Ernest Rutherford, le confirme. Tous les détails de cette fantastique expérience.
- Kammerling Onnès bouleverse nos conceptions en matière d'électricité. Il a montré qu'en dessous d'une certaine température l'effet Joule disparaîssait complètement dans certains alliages.
- Le mathématicien Goedel a montré que, quoi que nous puissions dire, nous dirons au moins une ânerie. Son théorème montre que tout langage contient au moins une proposition indécidable.
- etc....
En 37 années la face de la science a changé, dans de nombreux domaines. Maintenant, pouvez-vous me citer une découverte vraiment majeure, d'un calibre comparable, qui aurait été faite dans les 37 dernières années, c'est à dire depuis 1967 ? Il n'y en a pas. Il n'y a que de fantastiques développements. La Nature nous boude. Elle nous signifie qu'une nouvelle mutation est à entrevoir. C'est mon avis.
Comment le monde de la recherche doit-il se situer dans un tel contexte ? C'est difficile. Notre monde scientifique est comme frappé de stérilité. Il y a une cause à cela. Il n'y a plus guère de place pour les rêveurs, pour de grands explorateurs, pour des "fous de science". Les hommes ont changé, aussi. Dans les années vingt un scientifique comme Sommerfeld, enseignant à Gittingen, lançait à ses élèves :
- Ahr so, la maison science est en complète réfection. Partout retentissent des tirs de mine. Ce que je vais vous enseigner en cette rentrée pourra très bien se révéler être une complète ânerie au printemps prochain !
Et il partait d'un grand rire. Imaginez vous quelqu'un dire une chose semblable, de nos jours, quelque part ?
La science est devenu un immense échiquier où se jouent des pouvoirs, dans tous les pays. Il n'y a plus de grands projets, de frontières. Il n'y a plus que des mirages. L'infiniment petit se dérobe. L'élémentaire explose en une multitude. L'infiniment grand se paye carrément notre tête. La Nature nous parle, mais nous refusons de l'écouter. Elle nous dit "pensez autrement. Vous êtes à côté de vos pantoufles", mais nous pédalons obstinément dans le paradigme comme des écureuils dans leurs cages. .
- Tout cela, c'est bien joli, monsieur Petit, me dira mon interlocuteur, mais en dehors de ces remarques, que proposez-vous de concret ?
- Recrutement... profils... budgets... grandes orientations.....moyens......
J'écoute Claudie Haygneré. C'est probablement le ministre de la Recherche et de la Technologie le plus sexy que nous ayions jamais connu. Hélas cette femme me semble dramatiquement dépourvue d'imagination. Son oeil ne brille pas, ou peu. Elle n'est pas habitée par un rêve. Elle fait passer les pillules, négocie la politique gouvernementale.
- Monsieur Petit, vous ne répondez pas à ma question !
- J'en conviens, j'en conviens. Il faut essayer d'amener une idée neuve. J'en propose une. Il faut impérativement, dans le monde de la recherche, que les gens ne puissent pas cacher leur banalité derrière une façade. Il est difficile d'évaluer un chercheur. Mais il peut ... s'évaluer lui-même. J'aimerais imposer cette exigence. De nos jours un système comme Internet permet pratiquement tout. Un chercheur peut y loger son dossier de recherche, avec toutes ses publications, tout son travail. Tout le monde peut savoir ce que font les autres, avec un simple clic. Ce texte est en noir et blanc. Mais imaginez que j'introduise la couleur, avec un codage.
Ceci correspond à un travail complètement original. Ce sont mes idées. Elles conduisent à une conception des choses qui se révèle opératoire. J'ai pu grâce à ces idées interpréter tel phénomène, concevoir telle exppérience, qui a marché, faire telle observation. Tout cela débouche sur un modèle. J'ai un claim, une revendication. Je crois réellement que ce que j'avance est nouveau, révoltionnaire et j'attends les critiques de mes collègues pour pouvoir y répondre.
Tout ce que vous trouvez dans cette couleur, noire, n'est, par contre, pas original. Il ne s'agit que du rappel de travaux effectués par d'autres, ou précédemment publiés, y compris par moi. L'original est coloré. Il y a différentes couleurs.
Ainsi ce que je vous expose ici n'est original que par l'application que j'ai conçue, d'un modèle classique. C'est l'application qui est originale et je revendique cette originalité.
Là, la nouveauté réside dans le phénomène mis en évidence. Il n'y a pas de précédent. Je vous le présente bien que je ne sache pas l'interpréter.
Ici il s'agit de ... physique théorique. J'avoue que je ne sais pas très bien, ni à quoi cela peut servir, ni si cela signifie quelque chose de précis. Quelqu'un, un jour, trouvera peut être une application à cette théorie orpheline.
Ceci est assez spéculatif. Il y a des hypothèses assez gratuites, qui sont signalées. Dans cette couleur, on indique le profit que l'on peut tirer de cette interprétation des phénomènes ou des observations. Dans celle-là ce qui déconne.
J'ai joué avec les couleurs. Tout ceci mériterait réflexion. Un petit nombre de couleurs suffirait pour coder l'essentiel. Ainsi, au premier coup d'oeil tout le monde saurait qui innove et qui se complait dans la butyrocinèse (de butyros, le beurre, et kinésis, le mouvement) ou qui jette de la poudre aux yeux. Je crois que cela aiderait pas mal à y voir clair. Internet permet aussi de donner aux débats de la vigueur. Les critique y est possible. Les "revues de publications" pourraient acquérir un fonctionnement plus dynamique. Elles ne seraient que des arbitres :
- Untel critique tel passage de votre travail. Il dit que c'est moins original que vous ne le prétendez. Il cite des références. Qu'avez vous à répondre ? Voulez vous changer vos couleurs ou contestez vous ses dires ?
- Untel dit que vous essayez de nouveau de nous "vendre" votre boulot d'il y a dix ans, sous une autre forme et qu'en fait il n'y a rien de nouveau dans ce que vous amenez ici.
- etc...
Ca c'est un premier point. Le second concerne les statuts et les rôles. Mais c'en est en quelque sorte le corollaire. Avec un tel système de transparence il deviendrait difficile à des hommes de s'installer dans une notoriété ou de revendiquer un statut d'expert immérité. Tout serait mobile, tout évoluerait. Dans notre société nous croulons sous le pouvoir de vieux cerveaux usagés, devenus stériles. A l'inverse on emmerde des types formidables, comme mon ami Pierre Midy, qui a dépassé la soixantaine et qui continue à produire des choses de qualité, à tout va. Mais, sans doute, la politique du Cnrs consiste-t-elle a estimer que, passé soixante ans, une n'est plus capable de produire quoi que ce soit.
Ca n'est pas évident. Souriau, qui a dépassé quatre vingt ans, est toujours aussi éruptif. A cet âge canonique aucun mathématicien de la région ne saurait lui prendre un set et beaucoup de ses travaux restent encore mal compris. A côté de cela, je connais des tas de "jeunes vieux". La recherche en est pleine. Je connais aussi des puits de science d'où ne coule aucun filet, qui évoque la phrase "ceux que leurs ailes de géants empêchent de voler". Ce sont parfois d'excellents enseignants, égarés dans un univers où l'imagination est reine et où il ne sont pas équipés pour y faire face.
Le labo de Benveniste se meurt, dans l'indifférence générale. Pourtant, personne ne sait pourquoi l'eau est liquide à la température ordinaire, ou comment les protéines communiquent entre elles. Cet empêcheur de chercher en rond n'est aidé par personne. Il s'épuis, c'est tout, et cela m'attriste car je le sais hônnête.
Savoir qui est qui, qui fait quoi. La transparence. Le progrès est à ce prix. Il ne faut pas espérer définir des "critères d'évaluation", des "profils". C'est trop biaisé. Si on veut tabler sur le nombre des publications, alors des malins se débrouilleront pour vous resservir dix fois le même plat, avec d'autres assaisonnements. Si c'est le nombre de citations, alors on s'entre-cite entre amis. Ca marche très bien, ce petit jeu-là.
Est-ce la notoriété, l'aisance vis à vis d'un public ? Ouh là, comme cela peut être trompeur. Suivez mon regard....
Est-ce le fait de publier ? Hum.... le critère est délicat. Le monde de la publication est lui-même un fief. Ceci étant, ceux qui piétinnent devant les hauts murs peuvent aussi revendiquer leurs succès, afficher leurs prétentions, réclamer les critiques. Tout cela est un combat qui doit se dérouler. La science est un monde darwiniste où les nouvelles idées talonnent les anciennes. Le conflit est normal, mais il faut que toius aient leurs chances.
Il faut laisser le jeu scientifique jouer en toute liberté, laisser aux critiques le moyen d'émerger, quitte à faire tomber beaucoup de masques. Ceux qui ont des états de service bien tremplis ne craindront pas ce feu roulant et sauront se défendre. Il faut faire de la science un forum, non un lieu protégé, sanctuarisé. Cet éclairage risque de révéler des incompétences, des stérilités.
La télévision est une école d'illusion. Mais le haut débit va se généraliser, concurrencer ce petit écran qui est la machine à décerveler de notre époque. Alors des sites se mueront en stations de télévision "libres" comme il y eut jadis des "radios libres". Avec celles-ci il fallait maintenir l'auditeur enb haleine. De nos jours on peut télécharger des conférences. Un jour proche on pourra télécharger des émissions entières, de son choix. Internet est déjà un journal en soi.
La seconde idée concerne les objectifs. Là encore l'information doit pouvoir circuler. Il y a beaucoup de décisions contestables qui sont prises, d'options qui ne correspondent pas aux réels besoins de hommes. Là encore le débat doit s'instaurer. l'ITR est un exemple de sommes phénoménales qui vont être englouties dans un projet des plus problématiques. La fusion fonctionne. Les Anglais ont obtenu quelques résultats, en restant bien loin du rentabmle. Mais les particules rapides arrivent à franchir la barrière du confinement magnétique, arrachent des atomes lourds des parois. Ceux-ci refroidissent le plasma, par "rayonnement de freinage". Alors, comment faire ?
Si l'idée était passionnante, alors des hommes et des femmes accepteraient de s'exiler aux îles Kerguélen pour participer à cette passionnante aventure. Mais imaginez que le site retenu pour le projet corresponde à quelque trou perdu. Vous verrez alors l'intérêt tomber fortement. Cadarache, c'est la mer, le ski, à portée de week-end, le Lubéron à côté, une sacré qualité de vie. Je gage que si les choses se font on installera une gare TGV à proximité. Comme ça on pourra aller voir les dernières pièces de théâtre, dans la capitale.
J'aimerais qu'on se soucie d'énergies douces, que plus d'argent soit consacré aux éoliennes, à tout ce qui peut tirer de l'énergie dans cet immense réservoir où nous vivons. Un jour je parlerai de tout cela. Je crois aussi que les biologistes devraient se préoccuper de santé autant que de maladie. Il manque, dans cette recherche, un plan, un objectif. Disons le mot : un humanisme.
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