31 juillet 2014 : Traduction de l'Interview d'Osamu Motojima

Directeur général du projet ITER, par la revue Nature

 

10 Août 2014

 

Source :

http://www.nature.com/news/five-year-delay-would-spell-end-of-iter-1.15621

Maîtriser sur Terre le mécanisme de production d'énergie du Soleil constitue un rêve ancien pour les physiciens. En 2006, un consortium formé par l’Union Européenne, la Chine, l’Inde, le Japon, la Corée, la Russie et les Etats-Unis s’est lancé dans cette voie grâce à un projet de  réacteur expérimental dans lequel l'objectif est, grâce à la fusion nucléaire, de multiplier par dix l'énergie injectée.

Le projet ITER, d'un budget de plusieurs milliards d’euros, est maintenant en cours de construction dans le sud de la France, à Saint Paul lez Durance. Mais après huit années, ce projet s’est révélé complexe et difficile à gérer. Suite à la définition technique du projet dans ses moindres détails, en 2009, le budget initial s’est trouvé triplé, avoisinant les 15 milliards d’euros (20 milliards de dollars), et les délais de construction, allongés encore par les conséquences du tremblement de terre japonais qui a endommagé les installations de tests de certains composants, conduisent sans doute maintenant à un programme de recherche restreint.

L’an dernier, la publication dans The New Yorker, d'un document confidentiel portant sur l'audit de management du projet, a mis en lumière certaines lacunes dans l’organisation du projet. Cet audit, concluait que le management du projet était problématique, et qu'il pouvait aboutir à une perte complète du contrôle du projet, et il recommandait onze réformes urgentes. Aujourd'hui, avec l'avancement de l’installation expérimentale ITER  retardée, le directeur général Osamu Motojima, en fin de mandat, communique sur ce rapport, sur les retards et sur l’avenir d’ITER.
La date à laquelle sont attendues les premières expériences de confinement d’un plasma à très haute température dans la chambre toroïdale d’ITER a été décalée de 2016 à 2020. A l’occasion de sa rencontre du mois de juin dernier, le Conseil ITER (le Conseil d’Administration d’ITER-Organization) a estimé que la programmation doit être révisée et a porté l’accent sur le fait qu’il faut éviter tout dérapage. Quel calendrier parait réaliste aujourd’hui ? 

- La construction s’avère très difficile du fait de la nécessaire intégration des divers éléments. Nous nous efforçons de définir une date à laquelle la machine pourrait être achevée et donner son premier plasma, mais il s'agit d'un processus « bottom-up » qui prend en compte les impératifs techniques et les calendriers de fabrication des différents éléments construits dans les différents pays partenaires.

Beaucoup affirment publiquement que cela sera 2022 ou 2023.

- Beaucoup de rumeurs circulent. J'ai une date en vue mais nous devons la proposer avec  une forte probabilité. Ce sera environ 2022 ou 2023 et je communiquerai à ce sujet en juin prochain. Si cette date devait être 2025, le projet n'y survivrait pas. Je le sais pertinemment. Mais il ne faut pas oublier que le succès d'ITER ne repose pas sur le premier plasma, mais sur un fonctionnement avec le mélange deutérium-tritium, actuellement programmé pour 2027.
Le mois dernier, le Sénat US a proposé une réduction de budget pour le projet qui conduirait à la sortie des USA du projet. Cela vous inquiète t-il?

- Les Etats Unis ont un potentiel scientifique et technologique considérable dans ce domaine de la fusion nucléaire et ils ont été un des leaders initiaux du projet ITER, et cette question du financement nous cause de grandes inquiétudes. Je ne peux pas penser que les USA vont se retirer du projet, car ce serait désastreux pour celui-ci. D'autre part, je suis persuadé que ce pays est en mesure de comprendre les avantages et le bénéfice pour lui de son maintien dans le projet ITER.
A ce sujet, je tiens à apporter une précision importante. Dans le cadre de l’Accord International ITER, un membre ne peut pas se retirer avant 2017, et dans cette éventualité leur contribution en nature (équipements) doit être fournie. Ainsi, il s’agit d’une question interne pour les USA.

La proposition budgétaire émise par la Chambre des Représentants aux Etats Unis propose un financement accru à condition que soient effectives les recommandations du rapport d’audit de management de l’an dernier. Quelle est votre action pour mettre en oeuvre ces recommandations ?

- J’ai reconnu l’importance du souci d’efficacité et la nécessité de faire des progrès dans ce sens, et j’ai pris en compte les 11 recommandations et les 31 actions correctives à effectuer.
Des actions importantes sont en cours, comme la création d’une culture de projet. J’avais indiqué cet objectif à mon équipe en 2010, et dans le sens des recommandations, je mets l’accent actuellement sur cet objectif. Un autre point est d’afficher une culture de la sûreté nucléaire, ce que j’encourage en ce moment. Nous avons communiqué sur les améliorations en ce sens lors du dernier Conseil ITER.
Mais puis-je vous parler franchement? Nous avons un problème majeur.  Le Conseil ITER avait choisi de garder confidentiel le rapport de 2013 portant sur  l’audit de management du projet, y compris le résumé final. Ainsi, malgré mon souci de transparence et de communication au sujet du plan d’action en 31 points, je suis en position délicate pour en parler en détail auprès du grand public.
Auriez-vous préféré que le rapport ne soit pas diffusé?

- C’est certain. Je regrette que le résumé ait été téléchargeable sur certains sites. Cela a compliqué certaines choses et a donné lieu à des rumeurs inutiles.

Le rapport indique que la direction d’iTER n’a pas rempli les attentes en termes de management général du projet, et l’une des recommandations était d’accélérer la transition vers un nouveau Directeur Général. Cela semble indiquer que l’audit vous met en cause dans ce problème.  Pensez-vous que cela est justifié ?

- Personne n’a jamais parlé de me remplacer. J’ai été désigné pour une durée de 5 ans et 4 années ont passé. Indépendamment de cette recommandation, je dois demander au Conseil ITER de mettre en place le processus de sélection du nouveau Directeur Général.

Mais pensez-vous qu’il est juste de vous rendre seul responsable des problèmes d’ ITER?

- Ceci est de la responsabilité du Conseil ITER. Si celui-ci veut anticiper la date de mise en place du processus de sélection du nouveau Directeur Général, cela ne résulte pas du désaveu de l’action du Directeur Général actuel.
Pour l’instant, ma réponse se limite à cela. Et je ne vous parlerai pas de mes sentiments personnels à ce sujet. Dans un an, je pourrai peut-être m’exprimer davantage.

Le rapport a identifié un certain nombre de problèmes de grande envergure comme les relations compliquées entre les sept membres d’ITER et la Direction Générale. Est-ce que ces problèmes sont gérables ou bien sont-ils trop profondément imbriqués ?

- Il y a deux ans environ, j’ai mis en place l’Equipe ITER Unifiée comprenant ITER-Organization et les sept agences nationales pour s’attaquer à ce problème. La situation s’est nettement améliorée mais vous avez raison, le problème est lié au concept même d’ITER en tant que projet international. Nous travaillons de façon intense au quotidien et nous souhaitons que chaque membre trouve tous les bénéfices attendus dans cette coopération. Cependant, certains aspects du projet ITER qui induisent de la complexité sont essentiels pour atteindre un autre objectif majeur : la répartition équitable entre les sept membres de la propriété intellectuelle du projet.

ITER semble régner en maître sur la fusion, principalement à cause de son budget considérable. Dans quelle mesure est-il important de tester d’autres voies pour la fusion ?

- Les tokamaks sont aujourd’hui les dispositifs les plus avancés pour le confinement des plasmas, et c’est la raison du choix d’un tokamak pour le réacteur expérimental. Je suis persuadé que nous allons ainsi contribuer à la définition de DEMO (le réacteur de puissance de démonstration, qui fera suite à ITER). Mais il y a d’autres possibilités comme la fusion par laser, les stellarators comme le réacteur Wendelstein 7-X en Allemagne et le LHD au Japon. Les projets nationaux  sont importants car comment pourrait-on envisager les réacteurs de prochaine génération si chaque pays ne disposait pas des ingénieurs et des scientifiques spécialistes de ce domaine? Au Royaume Uni, environ 50 personnes travaillent pour ITER. Concentrer les recherches uniquement sur ITER serait préjudiciable. Je l’affirme moi-même en tant que Directeur Général du projet.

La crise en Ukaine a conduit en juin dernier au déplacement de la réunion du Consei ITER de Saint Petersboug à Cadarache, au Quartier Général de Iter OrganiZation. Etes-vous inquiet de l’impact avenir des tensions internationales sur le projet ITER ?

- Oui, je suis assez préoccupé. C’est dangereux pour notre projet. mais ITER est un projet scientifique avec pour objectif pacifique la démonstration de la possibilité de domestiquer l’énergie de fusion et je souhaite qu’il reste en dehors des tensions internationales. C’est pour cette raison que le ConseiI TER et choisi de déplacer la réunion à Cadarache. Je suis persuadé que tous les membres, y compris les USA et la Russie, approuvent  le maintien du projet ITER à l’écart des tensions internationales, non pas directement, mais en en étant tous assis autour d’une table.
 Avez-vous un plan d’action si les problèmes d’amplifient?
- Dans cette éventualité, nous préparons en ce moment une stratégie pour atténuer les effets indésirables. En permanence, nous travaillons à trouver des solutions. C’est la philosophie fondamentale du projet ITER.