La construction des Grandes Pyramides

Jean-Pierre Petit, ancien directeur de recherche au Cnrs

Introduction

Un bon résumé : Une vidéo montrant le schéma de la construction d'une pyramide LIEN

Une autre démonstration à l'aide d'une maquette faite d'éléments en bois : LIEN 

Comment positionner un linteau de 75 tonnes à 5 mètres de hauteur. LIEN

26 mai 2023 : J'avais écrit cet article il y a plus de quinze ans. Je le reprends ici, pour laisser une trace quelque part. Périodiquement apparaît sur le net une nième vidéo censée révéler comment ont été construites les Grands Pyramides. Le contenu reste indigent. Pourtant, avec simplement un peu de bon sens, des tas de choses peuvent être dites. Mais le bons sens n'est pas la vertu dominante des égyptologues.

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   J'avais fini par mettre l'essentiel de mes idées dans une bande dessinée :



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    Cet article la complètera, de même qu'une vidéo, puisque les gens regardent les vidéos et ne lisent plus. .


    Quand on atterrit dans la discipline égyptologique, simplement parce que des idées vous viennent, lors d'un voyage sur les lieux , on est surpris, quand on se met à lire un peu, par le flou et les lacunes qui semblent émerger des livres et écrits divers.

    Certaines assertions sont par ailleurs en contradictions les unes avec les autres. Je me suis souvent référé à l'ouvrage d'Alberto Siliotti. Plusieurs illustrations que vous trouverez dans ce dossier sont empruntées à cet excellent livre , paru en 2003 aux éditions White Star Publishers et dongt l'ISBN est :

88 - 8095 - 248 - X

dont je saurais trop recommander la lecture. Cet ouvrage est cosigné par Zahi Hawas, directeur du conseil suprème de l'archéologie égyptienne. Comme celui-ci intervient sous son nom par exemple page 56 de l'édition 2003 on peut considérer qu'il cautionne l'ensemble. Page 54 on peut lire à propos de la pyramide de Meidoum :

- Traditionnellement attribuée à Houny, dernier roi de la III° dynastie et successeur de Djeser après les brefs règnes de Sakhemkhet et de Khaba, cette pyramide à degrés est semblable à celle de son prédesseur à Saqqara..... Cependant le nom d'Houny n'apparaît jamais sur le nom du bâtiment, alors que quelques graffitis du Nouvel Empire découverts dans le petit temple funéraire citent le nom de de son fils Snéfrou, fondateur de la IV° dynastie et titulaire des deux pyramides de Dashour. Ces témoignages écrits sont le signe évident que les Egyptiens du Nouvel Empire considéraient Snéfrou vomme le constructeur des pyramides ( de cette région-là ) dont les travaux auraient débuté sous le règne de son père, Houny. Il est cependant plus probable que Snéfrou ait été l'auteur du remblai (...) qui transforme l'aspect extérieur de la pyramide..... Selon ces théories, la décharge qui l'entoure encore aujourd'hui ne serait que la conséquence du démontage des rampes nécessaires à sa construction ( ?... )

 

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La pyramide de Meïdoum ( Dashour, Ancien Empire )

 

    Référons-nous maintenant à l'ouvrage : "L'Egypte, sur les traces de la civilisation pharaonique", éditions Köneman.

ISBN 3 - 89508-914-1

    Il est signé par 33 auteurs, tous patentés, comme le professeur Hartwig Altenmüller, directeur du service d’égyptologie de l'université de Hambourg et le Dr. Dorothea Arnold, conservateur en chef du Muséeum of Arts, Dept of Egyptian Antiquities, New-York pour ne citer qu'eux . Un livre de 536 pages, particulièrement intéressant par les renseignements qu'on y trouve sur l’Égypte prédynastique et préhistorique. Reprenons, page 56 le passage qui se réfère à la pyramide de Meïdoum ( Meïdoum est un lieu ) :

- ... Sa pyramide funéraire ( celle de Houny, ou Houni, selon l'orthographe retenue, qui diffère selon les auteurs, de même pour Saqqara ou Sakkarah, ou Djoser, Djozer, etc... ) n'a jusqu'ici pas été retrouvée. Certains chercheurs affirment que la pyramide de Meïdoum a été entreprise par Houni et que Snefrou, le premier roi de la IV° dynastie l'aurait terminée à sa place. Ce pendant cette thèse n'est pas défendable. Rien n'atteste à Meïdoum la présente de Houni (...); la localisation de sa tombe dans la nécropole de Saqqara, où sont ensevelis les hauts fonctionaires de son époque est bien plus vraisemblable (...). En outre on sait maintenant par des graffitis etdes inscriptions que pendant tout l'Ancien et le Moyen Empire (...) aucun des rois n'a terminé ou emprunté ou terminé la pyramide de son prédécesseur (...).

    Apparemment il existerait "plusieurs écoles". Le livre de Siliotti serait ainsi l'émanation d'une "école italo-égytienne", tandis que le second serait celui d'une école arméricano-allemande.

    Loin de nous l'idée de prendre parti dans cette querelle d'écoles. Nous donnons simplement cet exemple pour illustrer la solidité toute relative des assertions des uns et des autres. Mais, en résumé :

   - Il n'est pas prouvé que Houny soit intervenu dans l'édification de la pyramide de Meïdoum

    - Il n'est pas prouvé non plus qu'il ait été enseveli à Sakkarah ( ou Saqqara, peu importe ), vu qu'on a pas retrouvé sa sépulture.

    - Enfin l'identification du "remblai" aux "restes d'une rampe" nous semble être une assertion dénuée de fondements, une simple hypothèse. Pour la conforter il serait nécessaire de décrire cette même rampe. Or cela n'a jamais fait à ma connaissance. En l'état ça n'est qu'un volume considérable de débris informes, de faible granulométrie ( de la taille d'une noix ) et c'est tout ce que nous avons de factuel.

    L'Egypte fournit une masse très importante de documents sous forme de vestiges d'édifices, souvent tout à fait extraordinaires et très déconcertants, de statues, de bas-reliefs, de peintures sur les murs de tombes, d'objets. Mais cette abondance est trompeuse. En matière de textes subsistent de larges plages d'ombre. Un exemple se réfère à la chronologie des dynasties pharaoniques qui nous est partiellement connue grâce à différents documents, comme la célèbre pierre de Palerme.

 

La "pierre de Palerme", environ 2300 avant JC ( source : livre de Siliotti )
Cette célèbre pierre est visible au musée archéologique de Palerme

 

La pierre de Palerme, détail. Source : l'ouvrage Allemand. Datation indiquée : Vers 2470 av JC.
( donc 170 ans d'écart vis à vis de la datation précédente )
Le cliché de l'ouvrage allemand, page 24 et beaucoup plus net et lisible. Une traduction par un égyptologue serait bienvenue

 

    L'ouvrage allemand précise :

    Cette pierre est le fragment le mieux conservé d'une grande dalle rectrangulaire dont les faces antérieure et postérieure portent les Annales Royales, depuis les premiers rois égyptiens jusqu'à la V° dynastie. Dans la première ligne, lacunaire, figure la liste des souverains prédynastiques, qui sont uniquement nommés.

 

 

La première ligne de la pierre de Palerme

 

    Les lignes suivantes se réfèrent aux pharaons qui régnèrent à partir de la première dynastie. Ci-après, un détail se référant à l'in de ces pharaons.

 

 

    Une remarque au passage : l'ouvrage allemand comprend des traductions de quelques textes accompagnant les bas-reliefs ( comme on a commencé à le faire dans les salles du Louvre, en particulier celle où un Mastaba a été réinstallé ). Concernant certains sites archéologiques, comme les Mastaba, on constate que les illustrations ( de la vie de tous les jours ) se présentent comme ... des bandes dessinées ! Dans l'ouvrage allemand on lira des fragments de dialogue, comme, dans l'atelier d'un artisan fabriquant des barques de papyrus :

    - Mon fils, apporte-moi une corde

     - La voici

    En règle générale nombre de statues égyptiennes et de monuments, de sarcophages sont constellés d'inscriptions, que ces objets soient en Égypte ou dans différents musées. Il est bien dommage qu'on ne puisse pas avoir accès, de manière discrète, à la traduction de ces mêmes textes.

    Dans le temple de Sethi premier ( millieu du 2° millénaire av JC ) on trouve un bas relief indiquant les noms de ses 76 prédécesseurs :

 

Liste des prédécesseurs du pharaon Sethi premier, trouvée dans sa tombe ( environ 2500 avant JC )
Le fait qu'il s'agisse de pharaons est indiqué par le déterminatif indiqué dans le carré bleu

 

    Nous ignorons absolument tout de la grande majorité de ces personnages, ne possédant pratiquement que leur nom. Avant que Champollion ne décode le secret des hiéroglyphes, les historiens ne savaient simplement rien de l'histoire égyptienne. On sait que celui-ci finit par comprendre que le Copte, langue des égyptiens modernes (Chrétiens), contenait des restes de cette langue des anciens Égyptiens. Il montra que les signes présents dans les cartouches se référaient à des noms et qu'ils traduisaient une transcription phonétique. En copte le soleil se dit râ (ou ré). Champollion supposa que la représentation hiéroglyphique du soleil, un simple disque, pouvait traduire le phonème râ ou ré ou la consonne r .

    Comme dans la plupart des langues anciennes, le codage de l'écrit se réfère surtout aux consonnes. C'est une sorte "d'aide-mémoire" pour scribes. L'hébreu ancien est ainsi conçu de cette façon. Au fil de ses recherches, Champollion progressa en identifiant de plus en plus de noms. Un de ses plus grands succès fut de décoder le cartouche du pharaon Thoutmosis en effectuant des recoupements avec des essais de décryptages précédents. Comme les voyelles sont absentes ce mot ne pouvait s'écrire qu'à l'aide des consonnes :

T ( dentale )    M ( labiale )    S ( sifflante )

    Il avait déjà identifié les deux dernières consonnes, respectivement avec les symboles :

 

 

    Thot était le dieu de l'écriture. Il est dans les tombes représenté par un homme à tête d'Ibis.

    En épluchant le gros livre écrit par toute une équipe d'égyptologues allemands et américains, que je cite à longueur de dossier ( c'est un ouvrage excellent ) je tombe sur un passage concernant l'écriture des Égyptiens. Ce n'est vraiment un peuple pas ordinaire. Quelque part dans ce dossier j'ai évoqué le "gap historique". L'histoire, dans cette région, connaît une discontinuité. On passe brutalement de la préhistoire à une histoire très structurée. Par quelque bout qu'on prenne le problème il reste quelque chose d'incompréhensible. Sur le plan de la technologie ça commence par du proto-historique "normal". Ce sont les époques Nagada I et Nagada II. On voit apparaître des poteries. Bon, ça progresse gentiment. Et soudain c'est l'explosion. Le pays devient structuré. On dirait que tout explose

    A propos de l'écriture, même absence de progressivité. Quand on étudie l'évolution de l'écriture d'un peuple on arrive à dégager un processus évolutif. Là, non.

    Je cite Stefan Wimmer ( chargé de cours à l'université de Munich, en égyptologie. Spécialité : la paléographie hiératique, les relations de l'Egypte Antique avec le proche-Orient )

- Tout récemment les fouilles entreprises par l'Institut archéologique allemand du Caire dans le secteur des nécropoles ( d'Abydos ) ont abouti à une découverte spectaculaire : en Egypte, la naissance de l'écriture est probablement antérieure de plusieurs siècles à la date fixée jusqu'ici, au alentours de 3000 avant JC. Cette découverte repose une question déjà soulevée depuis longtemps : existe-t-il une éventuelle relation entre le développement de l'écriture égyptienne et l'apparition presque contemporaine de l'éctriture Mésopotamienne et d'Iran ? Les premiers pictogrtammes du Proche-Orient, dont la simplification allait aboutir rapidement à l'écriture cunéiforme ont été inventés pour des raisons économiques. Les récits, les mythes ainsi que les messages de diverses natures pouvaient se transmettre oralement. En revanche les activités économiques exigeaient que l'on établisse des données de manière incontestable, telles que les dépenses et les recettes, et que l'on tienne une comptabilité.

     Les Egyptiens s'expliquaient eux-mêmes bien différemment l'exploit culturel inouï que représentait l'invention de l'écriture : il s'agissait pour eux d'un présent des dieux, et plus précisément du dieu Thot. Dieu-Lune, celui-ci était maître du temps et responsable du calendrier et, plus généralement, de ce que nous appelons la science, c'est à dire avant tout de l'écriture et des scribes. Les Égyptiens appelaient leur écriture Médou-nétjer ou "paroles divines".... Fort curieusement, à la différence de l'évolution graphique en Mésopotamie, on ne relève pas en Égypte de longue phase préparatoire, à l'issue desquelles les images et les scènes représentées pendant des millénaires dans l'art rupestre ou le décor des poteries auraient progressivement donné naissance à un système d'écriture. L'écriture hiéroglyphique apparaît de manière presque soudaine comme un système quasi-achevé (...) qui ne connaîtra plus de modifications fondamentales pendant 3500 ans (...). ... des témoignages indirects permettent de supposer qu'il existait déjà des livres complets sous la première dynastie ( vers 2950 avant JC ).

    Qu'est-il arrivé en Égypte, trois mille ans après notre ère ? Personne n'en sait rien. Ces gens, brutalement, passent de la cabane de briques de boue séchée à des construction qui défient encore notre entendement. Ils se dotent d'une science médicale. Ils maîtrisent les couleurs, la chimie. Comme j'avais déjà commencé à le montrer dans ce site, les Égyptiens de l'Ancien Empire maîtrisaient l'art de naviguer en haute mer. Les solutions technologiques de leurs vaisseaux dépassaient de très loin ce qui allait être fait au Moyen-Âge.

    Vraiment, le comble de la sottise, de l'aveuglement est cet ouvrage de Caratini, le Napoléon de l'Encyclopédie : "L'Egyptomanie, une imposture".


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     A conserver précieusement dans votre bétisier. Cet homme n'a rien vu, est passé à côté de tout, croît tout comprendre, nous présente la civilisation égyptienne comme une importation de la civilisation babylonienne, alors que leurs émergences sont contemporaines.

    Revenons à la découverte de la langue égyptienne.

    Champollion supposa qu'un symbole figurant un ibis pourrait être associé à la lettre T et ainsi décrypta le cartouche donnant le nom du pharaon Thoutmosis :


Tot M(o) S(is) : Thoumosis
 

     Je n'ai de hiéroglyphes qu'une connaissance qui ne dépasse pas cette simple évocation. Je reste quand même surpris par la lecture de nombreuses traductions où le mot " Dieu " figure au singulier. Je pense en particulier à des textes où "un père incite son fils à honorer Dieu ", au singulier et non pas "son dieu ". J'aimerais bien que quelque spécialiste se penche sur la question et éclaircisse cela pour nous. Existe-il, dans l'égyptien ancien un mot, une suite de symboles pouvait se traduire par " Dieu " au singulier, dans une consonance qui me semble bien teintée de monothéisme ?

    Il ne faut pas oublier que lorsque Champollion fut enfin subventionné pour aller en Egypte recueillir in situ les écrits dont il venait de découvrir le sens on lui demanda de s'engager à garder secret tout écrit qu'il trouverait et qui contredirait des écrits bibliques ( et nous étions en 1830 ! ). Il mourut deux ans après son retour d’Égypte, en ayant respecté la parole donnée.

     J'ai récemment lu un ouvrage de Chantal Desroches-Noblecourt qui traite de la façon dont les animaux apparaissent dans l'iconographie ou les textes égyptiens. A la fin de l'ouvrage elle s'envole, quelque sorte, disant "allez, je me lance" et elle expose l'idée selon laquelle la pensée chrétienne était déjà en germe dans la religiosité égyptienne. Ça n'est pas forcément stupide au sens où ces écrits prônent parfois une attitude de tolérance peu en vogue à l'époque. Ceci étant, on aimerait bien voir un érudit éplucher ces textes, présenter leurs sources. Il ne paraît pas impossible qu'on travaille sur de vieilles traduction qui ne sont dés lors pas remises en cause et qui pourraient charrier avec elles des distorsions liées à des empreintes d'essence religieuse. Tous les historiens, tous les égyptologues travaillent-ils sur les textes originaux ? Maîtrisent-ils tous parfaitement l'écriture hiéroglyphique ?

    Je repense au texte d'Hérodote, cité plus haut. J'ai fait un peu de Grec jadis et j'ai été jusqu'à racheter le volumineux dictionnaire Grec-Français Bailly pour explorer tous les sens possibles des mots importants dans ce textes. Il ressort de cette analyse qu'il n'y a pas une traduction unique d'un texte ancien mais un éventail de traductions possibles, plus ou moins serré. Je signale par exemple que l'Arabe est une langue "qui se déploie largement", où par exemple les sourates du Coran peuvent faire l'objet de traduction très distantes, dans nos langues occidentales. La correspondance langue à langue n'est pas bi-univoque.

    Quand on revient à l'histoire de l’Égypte ancienne il ne faut pas perdre de vue l'imprécision qui s'y attache. Alberto Siliotti, dans son livre, produit la chronologie ci-après en mettant en exergue " toutes les dates qui suivent sont approximatives " ( on a vu plus haute les deux évaluation de date pour la pierre de Palerme, qui diffèrent de 170 ans ). .

 

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     On ne trouve pas hélas, comme chez les physiciens de fourchette indiquant le degré de précision, comme on pourrait par exemple mettre :

Horus-Djet : 2540 ± 300

     Des pharaons ont laissé de traces tangibles sous forme de monuments imposants, écrasant pourrait-on dire. Certains les ont tellement constellés à l'aide de leur cartouche qu'ils auraient difficilement pu passer à la trappe. Le recordman en la matière est Ramsès II. Son mausolée d'Abou Simbel est un véritable édifice publicitaire consacré à sa personne. Dans le méga-centre religieux de Karnak ses sculpteurs ont gravé son nom dans la pierre jusqu'à des ... centimètres de profondeur, pour dissuader tout successeur d'effacer cette trace et d'y apposer la leur.

    A tout moment, en Égypte, on apprend que tel pharaon a fait de son mieux pour faire disparaître toute trace de son, ou de ses prédécesseurs. Cela peut parfois revêtir des aspects comiques. Lorsque le père de Thoutmosis III mourut c'est sa tante, Hatchepsout qui fit figure de régente. Mais, sans qu'il y ait de précédent, celle-ci se fit sacrer pharaon ( et non pas "pharaonne" ), se faisant même représenter sur ses statues ou bas-reliefs portant la barbe postiche, emblème se sa fonction. Le pauvre Thoutmosis, troisième du nom, dut longtemps ronger son frein et attendre que sa tante décède pour reprendre la couronne qui lui était due. Il se livra alors à une véritable frénésie d'iconoclastie, allant jusqu'à graver son nom à la place de celui de sa parente au bas de nombreux bas-reliefs et statues. Hatchepsout avait fait ériger à Karnak un obélisque. Ne pouvant ni l'abattre ni le mutiler, car c'était un objet sacré, Thoutmosis III le fit cerner de hautes murailles, de plus de vingt mètres de haut, afin de cacher aux yeux des hommes "le phallus de sa méchante tante"

     On trouve d'autres courants iconoclastiques chez Amenophis IV, le sosie de Grichka Bogdanoff, alias Akenathon qui, voulant imposer un monothéisme basé sur l'adoration du dieu-soleil, Aton, s'en prit au culte antérieur, celui d'Amon. Et je te martèle, et je te bousille à qui mieux-mieux. Après sa mort les prêtres d'Amon, reprennent le contrôle politique et théologique. En Égypte les deux vont de pair. Ils reprennent en main le jeune Toutankaton, dont le nom signifie "le bien aimé d'Aton", en le changeant en Toutankhamon "le bien aimé d'Amon". Des historiens se demandent aujourd'hui, sur la base d'analyse radiographiques, si le jeune roi, mort à 18 ans n'aurait pas été ... assassiné.

     L'histoire égyptienne est donc émaillé de conspirations, d'assassinats, d'empoisonnements en tous genres. Derrière les familles régnantes les clergés se livrent des véritables guerres de religion, aussi impitoyables que les nôtres. Des millénaires plus tard il nous reste d'imposantes pyramides. Mais, comme suggéré dans ce qui va suivre il nous semble que les pharaons successifs, s'ils ne semblaient guère respecter les effigies de leurs prédécesseurs se sont probablement livré à un jeu intensif de pîque-cailloux, ce pourrait expliquer dans certains cas l'état des pyramides telles qu'elles nous sont parvenus avec un voyage chaotique à travers les millénaires.

     Ci-après, une carte des différentes pyramides, empruntée au livre de Siliotti :

 

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     Le livre allemand, 530 pages, est très intéressant. Question iconographie on y trouve des photos d'objets et de statues qui sont dans des musées allemands, que je ne connaissais pas. Il donne plus d'information que beaucoup d'autres ouvrages sur la période dite "prédynastique" avec un premier chapitre intitulé "Les sources de la civilisation pharaonique". Des cultures préhistoriques sont évoquées. Vers 11.00 ans avec JC on trouve des silex taillés. Vers - 7000 c'est au Soudan voisin qu'on trouve des céramique décorées de motifs. Vers - 5000 en Égypte même, une civilisation présentée comme Nagada I, localisée dans le nord. Mille ans plus tard c'est la civilisation gerzéenne ou Nagada II avec des "poteries à bords noirs". Tout ceci se situe dans la Basse Égypte, dans ou à proximité du delta.

    Au milieu de ce 4° millénaire on voit apparaître une des productions typiques de l’Égypte : les vases en pierre, ici zoomorphes.

 

Vases en pierre (...) Civilisation Nagada II. moitié du IV° millénaire avant JC

 

    Autant on peut comprendre qu'une civilisation puisse inventer la céramique réalisée soit au colombin, soit au tour, autant la présentation de vases en pierre nécessiterait quelques mots d'explication. Comment s'y prend-t-on pour usiner l'intérieur de tels récipients à partir d'un bloc ? Toute réponse à ce sujet serait bienvenue. L'ouvrage parle de la découverte "d'atelier de forage et de polissage de la pierre". Plus de détails seraient souhaitables. On trouve actuellement des vases en pierre dans l’Égypte contemporaine que le touriste peut acheter. Mais ils sont en albâtre, une pierre très facile à travailler. On sait par exemple qu'à Sakkarah on a trouvé dans le sanctuaire des "vases en pierre dure", apparemment votifs en quantité innombrable. Plus de dix mille. Certains sont en quartzite, une des roches les plus dures qui soient. Comment usiner de tels objets ?

    L'archéologie c'est aussi la reconstitution. Quand un paléontologue vous dit "les pierres des haches moustériennes étaient faites de telle façon" il est aussitôt capable d'en faire lui-même la démonstration. En égyptologie la reconstitution de semble pas être le point fort de la discipline, dans de nombreux domaines. Il est vrai qu'en archéologie navale j'ai trouvé des erreurs grotesques (encore visibles dans des musées) faites par des gens qui n'avaient jamais mis le pied du un bateau de leur vie, de toute évidence.

    Revenons à cette évocation présentée dans le livre allemand. Le texte évoque à cette époque, milieu du IV° millénaire avant JC, la naissance d'une évolution proto-urbaine avec émergence d'une certaine élite pré-dynastique dont l'existence semble être attestée par la découverte d'une "tombe peinte", de 5 mètres sur deux de large, aux murs maçonnés et peints. Voici une des fresques.

Nagada II. Fresque sur a tombe peinte n° 100 d'Hiéraconpolis; vers 3300 av JC. Seule exemple de tombe peinte connue à cette époque

( ce site, de même que Hiérakonpolis, se trouvent au sud de l'Egypte et non pas dans le delta )

    Six barques dessinent les lignes principales de cette fresque. Toutes ont de forts "élancements" ( comme les gondoles vénitiennes et comme les bateau de l'ancien Empire et suivants ). La sixième, noire, a une prouve dressée. On trouve des scènes ou des chasseurs et des chiens poursuivent des gazelles et des bouquetins. Ailleurs ce sont des animaux pris dans des pièges. Un héros brandit une massue, affrontant deux lions, comme s'il était "le maître des animaux".

 

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"Le maître des animaux"

 

    Dans une scène un homme s'apprête à casser la tête de trois ennemis, apparemment attachés, ce qui deviendra la scène rituelle dans les millénaires suivants, dans l’Égypte pharaonique.

 

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" scène de guerre " , avec ce qui pourrait devenir la scène rituelle du massacre des ennemis attachés, thème central de l'Egypte Pharaonique

 

     Les auteurs du livre évoquent la récente découverte de ce qu'ils identifient à un "lieu de culte", annonçant les complexes rituels royaux des débuts de l'époque historique ( comme le complexe funéraire de Sakkarah où se déroulait la "course du heb-sed" où le pharaon devait faire un certain parcours en courant, pour justifier qu'il possédait toujours sa vigueur ). Les auteurs voient dans ces vestiges "les prémices d'une royauté égyptienne". Ils poursuivent en disant que l'émergence de dynasties régnant sur la terre égyptienne est décrite par la tradition comme "l'émanation du pouvoir exercé par un dieu solaire sur sa création. Ce n'est qu'après des générations de dieux et d'esprits ancestraux que ce pouvoir aurait été transmis au premier pharaon".

    Le début de cette histoire pharaonique nous est transmis par les pharaons eux-mêmes. Dans le temple funéraire de Ramsès II ( 1250 av JC ), sur la rive occiderntale de Thèbes on trouve une fresque "en l'honneur du dieu Min, dieu de la fécondité" où des prêtres portent des effigies des "pères fondateur des lignées pharaoniques".

 

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Les grands fondateurs du royaume

1 : Ménès, 2 : Mentouhotep II, Ahmosis. Les suivants sont les prédécesseurs direct de Ramsès II, du Nouvel Empire


    C'est là où l'histoire et le mythe se fondent. Ce qui est antérieur à Ménès se fond dans les brumes du temps. Les auteurs écrivent :

Pourquoi l'historiographie de l'Ancienne Egypte a-t-elle été associée, à travers ce roi Menès à un changement aussi radical ? La recherche moderne, qui se plaît à dégager des phénomènes continus de lentes évolutions dont elle analyse les finesses se trouve désemparée face à cette césure historique. Est-elle seulement le fruit du hasard, la simple répercussion d'une évolution du système de comptabilisation bureaucratique - ou même de la pure fiction ? Ou bien ce tournant révèle-t-il une signification précise qu'il nous appartient de déceler ?

Question intéressante.

     Nous avons trouvé dans cet excellent ouvrage allemand un peu plus que ce qu'on trouve d'habitude dans les ouvrages traitant de l'Egypte, qui se contente de dire "que l'histoire Égyptienne débute avec le pharaon Ménès, unificateur du royaume". Mais nous n'en sommes pas tellement avancés pour autant. Le mystère demeure. Tout ce qu'on peut dire c'est que la civilisation pharaonique semble soudain émerger de nulle part, en déployant ses multiples formes, son écriture, sa statuaire, son iconographie, ses thèmes religieux et surtout un art qui atteint d'emblée un niveau tout à fait remarquable, témoin ce manche de couteau datant de la fin de l'époque prédynastique (3150 av JC )

 

Le couteau "du maître des animaux"

 

    La lame est en pierre. Les auteurs disent que l'on reconnaît sur le manche, en ivoire d'hippopotame, un personnage évoquant "le maître des animaux", déjà aperçu sur la fresque montée plus haut et celui-ci porte un costume ... babylonien. On voit des animaux, des scènes de combats, des bateaux avec étrave et poupe relevées, navigant au milieu de cadavres. On enchaîne alors avec la palette de Narmer, trouvée à Hiéracopolis, qui est datée de 3100 av JC et qui est censée représenter Menès, le pharaon de la " dynastie zéro ", selon l'expression retenue par les égyptologues. Elle est visible au musée du Caire. On en trouve la reproduction dans tous les livres.

 

La palette de Narmer, "verso", vers 3100 av JC, Hiéraconpolis

 

    Sur "le verso" de cette palette rituelle ou commémorative on y voit des "têtes de vaches aux traits humains", à l'effigie de la déesse Hator. Le nom du pharaon est, dit-on, inscrit entre ces deux têtes. Cette palette évoque un défilé de victoire, le pharaon défilant devant un parterre d'ennemis décapités. En bas, représenté de manière symbolique par un tareau, il détruit une forteresse et piétinne un ennemi. Les cous enlacés des deux animaix du centre dessinent un godet. Il semble en effet que ces palettes "scutiformes" ( en forme de boucliers ) aient été utilisées pour transporter, à plat, quelque ongent rituel, peut être pour oindre des statues. On retrouve ce godet central sur une autre palette. On en a retrouvé de nombreuses, d'apparât, commémoratives ou votives, toujours à Hiéraconpolis. L'ouvrage associe celle ci-après à la date de 3150 av JC.

 

 

Autre palette à godet central

 

On y voit deux hyènes reconnaissables à leurs oreilles rondes. On trouve sur un bas-relief du mastaba de Mererouka, dans le complexe funéraire de Djoser une scène montrant des hommes gavant une hyène, vraisemblablement utilisée pour la chasse ( afin qu'elle ne dévore pas le gibier ).

Voici enfin le "recto" de la palette de Narmer ( qui est visible au musée du Caire ) :

 

Palette de Narmer, recto.

On trouve là la symbolique qui s'étendra en Egypte au fil de millénaires : cette scène où le pharaon, brandissant un casse-tête et tenant un ennemi, barbu, sémite, par les cheveux, s'apprête à le faire passer de vie à trépas. Ici le pouvoir s'affirme symboliquement par une gestuelle à caractère magique. A la droite de la tête de l'ennemi à terre, sans doute son nom. En haut le faucon trône en position dominatrice. On peut lire dans ces représentations que le pharaon possède une puissance qui lui est conférée par des dieux d'apparence zoomorphe. Attachée à sa ceinture pend la queue de taureau qu'on retrouvera également sur toutes les représentations pharaoniques suivantes, de manière invariable au cours de millénaires. Il porte également la barbe postiche. Ces palettes commémoratives se réfèrent à des victoires.

Voici un fragment de palette brisée

 

Fragment de palette commémorative trouvée à Hiéraconpolis

 

Il faut y lire deux choses.

- Les noms de forteresses investie par les Egyptiens
- La présence d'animaux symboliques ( en bas et au centre, bien reconnaissable, un scorpion ) qui peuvent être les noms des divinités qui ont appuyé ces victoires ou, pourquoi pas, ceux des personnages qui, délégués par le pharaon ont mené ces opérations, ou des légions qui ont été envoyées là-bas.

J'ai trouvé intéressant de reproduire la chronologie indiquée dans l'ouvrage allemand, qui correspond à un travail récent, publié en 1997 par Jürgen von Beckerat (Chronologie des pharaonnischen Ägypten, MÄS 46, Mayence 1997 ). Le livre évoque sommairement les différentes méthodes permettant de construire cette chronologie, en précisant leurs limites.

 

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