Mort à Crédit

19 octobre 2005

Avertissement ( 22 octobre ) : J'ai installé cette page suite à un message reçu d'un lecteur, qui a accepté de voir son nom figurer : A. Lemaire et qui avait eu à vivre lui-même les conséquences dramatiques d'un surendettement. Il m'a envoyé le récit de ce drame "trouvé dans la presse". J'ai réagi un peu rapidement, sans lui demander, ce que je dois faire systématiquement, dans quel organe de presse il avait trouvé cette information. Il faut dire que ce récit évoquait deux souvenirs, dont l'un était particulièrement dramatique, se référant à une amie qui, il y a 25-30 ans avait entraîné la mort de sa fille lors d'un suicide raté. Or il se trouve que cette affaire Cartier fait actuellement l'objet d'écho dans la presse, que je n'ai pu suivre, ma télévision étant en panne. Il semble qu'émerge une toute autre interprétation de ce récit. Plutôt que d'enlever cette page, j'ai préféré, jusqu'à )lus ample information, fairte précéder ce texte par cet avertissement.

Quand on est lu par des milliers de personnes chaque jour on doit être soucieux de la validité des informations dont on se fait l'écho, ce qui n'est pas toujours facile pour une seule personne. La solution consiste le plus souvent à ne pas se précipiter et à attendre quelque temps que cette information se décante.

Quelles que soient les conclusions de cette affaire Cartier, cela n'enlève rien à cette critique des techniques pratiquées par les maisons de crédit et les banques, amenant un nombre croissant de personne à une sorte de fuite en avant dans le surendettement qui peut avoir des conséquences dramartiques.


Cher Monsieur Petit,

Je vous ai envoyé le récit de ce drame, trouvé dans la presse. Un drame qui est celui des gens poussés à s'endetter et qui a conduit un chef de famille à un désespoir suicidaire. Ce mode d'incitation au surendettement, sans scrupules, est largement utilisé par les organismes financiers comme le démontre très bien cet article.

Je sors moi-même du gouffre du surendettement dû à ma crédulité face aux discours marketing ainsi qu'aux "facilités" ahurissantes offertes par ce type de micro-credits. J'ai été d'autant plus touché que je suis aussi passé, du jour au lendemain, par la spirale infernale de l'interdit bancaire... dans une situation de surendettement autant dire que c'est une condamnation à la rue....

Fort heureusement pour mon couple et mes filles, j'ai eu la chance d'avoir de la famille pour me venir en aide et ainsi rétablir ma situation financière intenable, notamment en rachetant et renégociant des crédits. J'en paie encore les pots cassés mais je suis heureux d'en être sorti.

Si je n'avais pas eu ma famille derrière moi, qui sait si je n'aurais pas suivi moi aussi la voie du désespoir.... c'est fort possible.

A. Lemaire


Voici le récit de ce drame :


Etranglé par les dettes, un couple a décidé d'en finir.
Seul un de leurs cinq enfants a succombé.
Procès d'une dérive.

Emmanuel Cartier a toujours eu l'impression de vivre à crédit et cela lui plaisait. «Ma mère déjà en avait un, c'était comme l'air qu'on respire.» Lui a contracté le premier juste après son service militaire. C'était pour une chaîne stéréo. Ou alors une télé ? Cela lui avait semblé si facile qu'il n'en garde pas de souvenir précis. «On voit une offre alléchante, on appelle. On reçoit un formulaire, on le remplit. Le chèque arrive 48 heures plus tard, comme dit la pub. Tout se fait sans jamais voir personne, on rembourse si peu qu'on ne s'en rend pas compte. Cela donne la sensation d'une vie douce.»

Douze ans plus tard, Emmanuel Cartier et sa femme Patricia ont six comptes en banque, 21 lignes de crédit, 15 cartes magnétiques, près de 250 000 euros à rembourser mais toujours le même salaire d'ouvrier. Quand les pompiers sont arrivés à Laversines, le 19 août 2002 vers 6 h 45, Emmanuel Cartier les attendait devant le pavillon, tout au bout du lotissement. Il pleure. Il dit que c'est lui qui a
> tué Alicia, la petite de 11 ans, la deuxième de leurs cinq enfants, celle qui aimait danser avec lui sur de la techno et qui maintenant ne respire presque plus dans la chambre du fond. Une femme en blanc secoue Emmanuel. «Expliquez-moi, je dois savoir.» Emmanuel dit :
«Ça a raté. On devait tous mourir.» Patricia et Emmanuel Cartier comparaissent jusqu'à mercredi devant les assises de Beauvais pour empoisonnement.


Une télé pour chaque enfant

Entre eux, cela avait été le coup de foudre. Il vient d'avoir 21 ans, elle en a sept de plus quand ils se rencontrent en boîte de nuit en 1989. Presque tout de suite, ils ont un fils, Méderick. Puis Alicia, Mathilde, Marine. Les Cartier vivent en HLM dans l'Oise. L'appartement ressemble à une bonbonnière. Chaque gamin a sa télé, «pour ne pas faire de jalousie entre eux». Il y a trois consoles de jeux, un ordinateur, l'électroménager dernier modèle.
- Méderick, mon fils me disait "chez mon copain, il y a ceci. Il ne veut pas venir jouer chez nous si on ne l'a pas". On finissait par lui prendre ce qu'il voulait.»

Les Cartier gagnent chacun 1 300 euros par mois, elle comme aide-soignante, lui dans la métallurgie. Et alors ? Dans la boîte aux lettres, chaque jour, Emmanuel trouve une nouvelle publicité. Il prend un crédit chez Sofinco «Puisez dans votre réserve d'argent à votre gré»), puis chez Finaref (« Faites-vous plaisir dès aujourd'hui »), puis Cofidis ( « Besoin d'argent ? Rapidement ? »), puis Mediatis («Vive le crédit»), puis Cofinoga (« C'est le moment d'en profite r»). S'ils ne répondent pas, les Cartier reçoivent des relances. «Etes-vous malade ? Nous n'avons pas de vos nouvelles depuis deux mois.» Dans certaines sociétés financières, des voyants lumineux affichent, pour motiver les employés, le nombre de crédits placés par chaque service.

De toute manière, Emmanuel Cartier est un bon client. « J'ai toujours vu les crédits comme un plus, une sécurité. J'avais l'impression d'avoir de l'argent devant moi pour répondre à la demande des miens. Sans ça, on pouvait travailler et manger mais rien de plus. »

En 2000, Patricia accompagne une belle-soeur pour un ravalement de façade aux maisons Phénix de Chaumontel. «De fil en aiguille», elle ressort avec un rendez-vous pour visiter elle-même un terrain, entre Noailles et Clermont. «Un pavillon, comme ma mère, c'était mon rêve», dit Patricia. En quinze jours, ils signent le compromis de vente pour 100 m2 en plain-pied. Emmanuel pense qu'un nouvel emprunt ne passera jamais. A l'époque, ils doivent déjà plus de 300 000 francs en crédits à la consommation, claqués «en tout et en rien». Le constructeur a dit aux Cartier que, de toute manière, ils ne perdaient rien. Alors Emmanuel a tenté sa chance. «Ils nous ont envoyé un conseiller qui a demandé 5 000 francs pour faire le ménage dans nos finances.» Il ouvre un nouveau compte, nettoie les petits crédits, obtient un rééchelonnement d'une partie de ses dettes. Le financement du pavillon passe tout juste : 603 euros par mois sur vingt ans. Contrairement aux idées reçues, plus de 60 % des demandes de crédit sont refusées mais les Cartier présentent le profil type du «client rassurant» : une grande stabilité professionnelle et familiale, avec l'envie de s'installer. Mieux qu'eux dans les critères, il n'y a que les fonctionnaires. Emmanuel est content. «Je me suis dit : ces gens savent mieux que nous.» Thomas, leur cinquième enfant; vient de naître.


Les boniments du vendeur


Comme dans tout nouveau lotissement, des démarcheurs sonnent à la porte. Les Cartier se laissent convaincre par une cheminée. Quatre ans plus tard, Emmanuel répète encore avec enthousiasme le boniment du vendeur : «En 36 mois, cela nous serait revenu moins cher que
le chauffage tout électrique prévu par le constructeur.» Tant qu'à faire, Patricia choisit le haut de gamme, avec arrondi en brique et muret pour ranger les bûches. Crédit : 48 000 francs. Emmanuel coupe le bois à la hache mais Patricia craint qu'il ne se blesse. Ils achètent une
tronçonneuse. Puis le portail, le grillage, la tondeuse, le motoculteur, le taille-haie, l'abri-jardin, 10 tonnes de matériau pour la terrasse, un appareil à vapeur «radical contre les acariens», six matelas au «mois de la literie» du centre commercial, l'abonnement à Canal Satellite, à
France-Loisirs et à une collection de soldats de plomb des guerres napoléoniennes. Et puis, «quand une télé tombe en panne, il faut bien la remplacer».

A partir de mai 2002, Emmanuel Cartier prend son cahier noir le 25 de chaque mois, quand la famille est couchée. Là, il se branche sur les serveurs téléphoniques de ses créanciers et, toute la nuit, calcule ce qu'il doit, joue de l'avance sur salaire, des cartes à débit différé, bascule un crédit sur un autre, ouvre une nouvelle ligne, de plus en plus petite. «Je pensais qu'on avait touché le fond et puis, au matin, je me disais : si ça se trouve, dans la boîte aux lettres, il y en aura un nouveau.»


Garder espoir

Et il y en a toujours un. Emmanuel n'a peur que d'une chose : le plan de surendettement. «Je n'aurais plus eu droit à aucun crédit, alors que là, on arrivait toujours à se récupérer au dernier moment.» Dans la famille, personne n'a jamais entendu les Cartier se plaindre vraiment de difficultés financières. Début août 2002, une soeur s'inquiète. Elle passe au pavillon. Emmanuel a déjà rentré le bois, acheté les cartables pour la rentrée. Il parle de Mathilde, la troisième, qui veut une moto électrique, et Alicia, la deuxième, un radiocassette laser. Elles les auront, il se le jure. Il dit : «On a longtemps gardé l'espoir.»

Quinze jours plus tard, lorsqu'il glisse sa carte Alterna dans un distributeur, elle est avalée. La facture d'électricité vient d'être rejetée par sa banque Les incidents de paiement sont la seule raison légale permettant de faire sauter les cloisonnements entre maisons de crédit. En deux jours, les comptes des Cartier explosent. Sans transition, les relances de recouvrement succèdent aux offres de crédit. Des ultimatums menaçants sont collés sur leur boîte aux lettres. Bien visibles, pour les voisins. Ils sont harcelés sur leur lieu de travail. Là aussi, les termes sont souvent les mêmes : «Savez-vous que vos enfants vont passer Noël dehors ?» «Si vous ne payez pas, c'est eux qui paieront.»

Les Cartier ont repoussé le «dernier jour» au 18 août 2002. «C'était les vacances, alors on voulait que les enfants en profitent encore un peu.» Les derniers crédits servent à acheter des vêtements neufs pour «que les gamins arrivent correctement vêtus dans l'autre monde». Le samedi soir, ils s'offrent au fast-food le plat préféré de la famille : des hamburgers. De la maison de repos où
> elle travaille, Patricia a rapporté des seringues et de l'insuline. Seule Alicia en mourra. L'ensemble des biens des Cartier sera vendu pour moins de 2 000 euros dans un dépôt-vente.

 

Cette lettre et cet articme m'ont rappelé deux histoires. La première est celle du suicide raté où un des enfants y reste. J'ai vu cela se dérouler presque sous mes yeux il y a 25-30 ans. J'avais une amie qui était enseignante à la fac des Lettres d'Aix en Provence et qui avait épousé un Anglais, qui y travaillait également comme assistant. Elle faisait déprime sur déprime. Un jour elle commença une psychothérapie avec un drôle de bonhomme, qui finit d'ailleurs quelques années plus tard par quitter la ville. Dans les premiers temps elle était très enthousiaste à son sujet :

- Ah, ça me fait un bien fou. Je me libère....

Mais le métier de psychothérapeute demande de réelles compétences que ceux-ci possèdent extrêmement rarement. Dans les premiers temps le simple fait de parler librement fait du bien au client qui a ainsi l'impression d'avancer. Son "psy" l'y encourage. Mais soigner quelqu'un consiste à savoir analyser son trouble, puis à lui en faire prendre conscience. La plupart du temps les psychothérapeutes ne savent rien analyser du tout. Ils ne savent pas vivre non plus et vivent ainsi "par clients interposés". Ils supposent qu'une " écoute " patiente peut tenir lieu de compétence. Quand le client perd patience il suffit de lui expliquer que la lenteur de ses progrès n'est imputable qu'à ses propres "résistances". L'incompétence devient alors un métier, lucratif d'ailleurs. C'est aussi le record absolu de la dissimulation fiscale puisque les séances ( "question d'efficacité de la cure", c'est bien connu ) se payent en liquide, de la main à la main. Souvent celui qui croît se comporter en psychothérapeute s'illusionne sur son propre rôle. Il se croît utile. Quand, au bout de longues années son client se décide à claquer la porte de son cabinet il arrive souvent à se convaincre qu'il l'a guéri. Il faut bien qu'il le fasse sinon il pourrait se rendre compte qu'il l'a tout simplement ... volé.

Quand, en face, le patient ne trouve que le vide, son angoisse s'en trouve démultipliée. Très souvent le psychothérapeute est beaucoup plus atteint que les clients qu'il est censé tirer d'affaire. Les désordres de certains peuvent prendre des proportions illimitées. Beaucoup sont des malades mentaux en liberté, qui utilisent leurs clients comme exutoires de leur pathologie. Celui de mon amie avait une réputation établie " d'enfermeur ". Après un ou deux ans de "traitement " il finissait par dire à ses clients :

- Je crois, finalement, que vous seriez plus à votre place dans une institution, où vos jours seraient mieux gardés. Je peux vous suggérer un établissement très sérieux...

Je me souviens d'une boutade de mon vieil ami Aimé Michel :

- Il y a deux sortes de fous. Ceux qui sont enfermés et ceux qui arrivent à faire enfermer les autres.

Il y a du vrai dans cette phrase.

Je voyais mon amie s'assombrir de jour en jour. Je n'avais pas osé, voyant son enthousiasme des débuts, l'avertir. Mais elle semblait si mal qu'il me semblait nécessaire de l'éclairer. Ceci dit, quand on enlève à quelqu'un ses béquilles, brutalement, il est bon de lui en fournir d'autres, autant que possible. Je connaissais un couple. Louis, aujourd'hui décédé, était professeur au département de philosophie de la fac d'Aix en Provence, où j'enseignais également. Sa femme Michèle s'intitulait psychanalyste. Elle avait fait une cure étonnamment courte. Un ou deux ans, je crois. Puis elle avait mis une plaque sur sa porte et avait commencé à faire de la clientèle. Je n'ai compris que beaucoup plus tard que cette activité n'était chez elle que l'expression de son voyeurisme. A l'époque elle s'était occupée d'un jeune assistant de la fac, un garçon un peu timide. Apparemment sa psychotherapie avec cette femme semblait lui avoir fait du bien. Il avait en particulier cessé de bégayer et semblait enfin s'intéresser au beau sexe.

Ma foi j'ai suggéré à mon amie d'aller frapper à la porte de cette femme, ce qu'elle fit. Quelques mois plus tard ce fut le drame.

Il existe une règle d'or dans ces psychotherapies. On s'occupe d'une personne à la fois. Mon amie était donc déjà en cours de traitement chez cette Michèle depuis quelques semaines quand son mari voulut rencontrer la psychothérapeute. La règle aurait voulut qu'elle refuse. Une psychothérapie doit être un sanctuaire inviolable. Déroger à cette règle peut présenter des risques.

Michèle reçut l'époux, commenttant ainsi une des fautes professionnelles les plus graves dans ce genre d'activité. Cet évènement plongea mon amie dans un désespoir intense. Ses parents possédaient une maison, dans les Alpes. Elle partit s'y réfugier avec sa jeune fillette âgée de cinq ans. Ayant l'impression d'être arrivée à une complète impasse elle décida de fuir dans l'au-delà en entraînant son enfant dans ce dernier voyage. Elle prit des somnifères et en fit prendre à la gosse. Elle s'en sortit, sa fille, non.

Quelques temps plus tard j'eus l'occasion de rencontrer Michèle et je la questionnais à propos de ce drame. Sa réaction me stupéfia. Je lui connaissais de longue date un geste qui lui était familier et qui consistait à faire comme si elle envoyait quelque chose loin derrière elle, par dessus son épaule. Elle le fit avec ce simple commentaire :

- Oh, tu sais. Elle se serait sans doute suicidée de toute façon.

Et elle continua d'exercer, sans le moindre état d'âme.

La seconde histoire se réfère à un jeune homme. Celui-là avait été élevé "dans du coton". La mère avait accaparé l'autorité patentale, sans être réellement capable de l'assumer. Les parents se séparèrent, puis le père fit faillite et partit vivre en Espagne. Arthur resta seul en France. Soudain son monde confortable s'écroula. Ne possédant comme diplôme qu'un baccalauréat il ne trouva pour subsister qu'un emploi de manutentionnaire dans une grande surface. Il avait une amie à Marseille, chez qui il s'installa, son père ayant vendu la grande maison familiale où il avait été jusque là hébergé.

On touche ici à un des mécanismes moteurs de la délinquance : le refus de vivre une dégringolade sociale et aussi le refus se remonter ses manches, le manque de courage. Arthur accepta l'offre d'un ami qui tenait une boutique de location de cassette vidéos. Ce commerce lui servait en fait de couverture car ces cassettes lui servaient à livrer des sachets d'héroïne pour des clients un peu particuliers. Arthur s'était toujours pris pour quelqu'un d'autre. Il possédait plus de cinq cent vidéos, dont beaucoup étaient des films policiers. Du policier au truand, la frontière est parfois étroite, surtout dans la tête d'un jeune homme de vingt-deux ans, amateur d'armes à feu.

Le commerce fut interrompu au bout de seulement quelques mois. Il faut un peu d'intelligence pour faire un truand acceptable. Ces imbéciles géraient leurs communications avec leurs clients depuis une cabine téléphonique, rapidement mise sur écoute par les policiers. Toute la bande se retrouva sous les verrous, aux Baumettes. Et c'est là que sa mère allait lui rendre visite. M'étant renseigné, j'appris que la libération sous caution était devenue en France une pratique courante et grâce à cela Arthur put sortir de prison au bout de deux mois au lieu de trois. Quand nous allâmes le récupérer on aurait dit un châton sortant d'un baignoire.

- Mâman, si tu savais, ça a été terrible....

On aurait pu croire que cette affaire lui aurait mis du plomb dans la tête. Mais pas plus que cela. Je lui proposais de consigner ses souvenirs de tôlard sur des cassettes audio. Avec ce matériel j'aurais pu composer un livre que j'aurais intitulé "confession d'un petit dealer", en décrivant la dérive d'un fils de famille. Arthur aurait signé l'ouvrage sous un faux nom et nous aurions fait fifty-fifty sur les droits d'auteur. Ca lui aurait donné de quoi redémarrer dans la vie. Ce livre aurait pu être aussi utile. A l'en croire la prison n'est pas une expérience exaltante, loin s'en faut et ce récit aurait pu dissuader quelques jeunes crétins de prendre le risque d'y atterrir.

Cela fallit se faire. Mais Arthur était lâche. Il craignit, en dépit du pseudonyme qu'il aurait pu prendre et que jamais l'éditeur n'aurait révélé, je le lui avais dit, que le milieu qu'il avait cotôyé ne prenne ombrage de ses révélations. En effet nous avions appris par lui que la drogue circulait librement aux Baumettes, introduite par les femmes des prisonniers lors des vistes dans les parloirs. Vous avez sans doute vu comment s'effectuent les entrevues, aux Etats Unis : par téléphone, le détenu et son visiteur ( ou sa visiteuse ) étant séparés par une épaisse vitre. En France on fait les choses beaucoup plus simplement, et les deux se rencontrent dans un box. Les femmes sont fouillées à l'entrée, mais sans que les fonctionnaires n'aillent explorer leurs recoins les plus intimes, et le tour est joué. L'administration pénitentiaire est d'ailleurs parfaitement au courant, mais estime que sans cela les prisons seraient intenables.

Bref Arthur laissa tomber le projet. Il lui fallut des mois pour se résigner à retravailler, toujours avec des emplois peu gratifiants. Parlant bien l'anglais et ayant un certain sens de la communication il aurait pu trouver une situation de maître d'hôtel, fonction qu'il avait exercée en remplacement pendant le temps de vacances. Mais Arthur était paresseux. Que de fois n'ai-je entendu des jeunes dire :

- Moi, ce que j'aimerais trouver c'est un boulot peinard, qui gagne bien et qui laisse des loisirs.

Ben voyons.

Arthur avait conservé de son adolescence dorée tout un impedimenta. Quatre raquettes de tennis, des costumes, des meubles. Le réalisme n'était pas son fort. Au lieu de se loger modestement il profita de l'aide au logement pour prendre un appartement situé au dernier étage d'un immeuble aixois moderne, avec terrasse, où il pouvait installer ses meubles, son bar, ainsi que le meuble où ils conservait ses précieuses cassettes audio. Quand il atteignit sa vingt cinqième année son aide au logement disparut et c'est là que commence une histoire qui rejoint celle qui constitue le début de cette page. Pour pouvoir continuer à payer son loyer cet imbécile... prit tout simplement un crédit !

La dérive se poursuivit pendant plus d'une année, jusqu'à ce que je me gendarme.

- Mais enfin, combien de crédits as-tu pris, bon sang ? Combien dois-tu ?
- Je n'en sais rien.....

Nous finîmes par le savoir. J'épongeais ses dettes en lui précisant qu'en cas de récidive il atterrirait aussitôt en prison pour la seconde fois et que cette fois je ne ferais rien pour l'en sortir.

Nos routes se séparèrent. La dernière fois que je le vis c'était à travers la fenêtre de mon bureau, participant au pillage en règle de ma maison.

De tout cela il faut retenir l'énorme responsabilité des maisons de crédit et au delà, celles des banques dont elles ne sont que les relais. Ce sont elles qui mériteraient d'être citées en justice. Mais le crédit à la consommation est le moteur de la "relance économique". L'Etat ne peut scier la branche sur laquelle il est assis. Le nouveauté de notre époque c'est l'apparition d'une multiplicité de "petits crédits" qui font que les gens se retrouvent criblés de dettes sans s'en apercevoir. Reprenez l'histoire de ce couple qui tenta de se supprimer avec ses enfants. Une fillette en mourut. Mais je ne crois pas que les véritables reponsables aient été inculpés ou même simplement cités. Comme il est dit dans l'épilogue :

On vendit les biens de ces gens pour 2000 euros et tout fut dit.


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