Rêves d’énergie par fusion nucléaire,
bonimenteurs et canard boiteux.
La mise en bouteille l'énergie du soleil sera toujours pour dans 20 ans.

Par Charles Seife| Publié le jeudi 3 janvier 2013, à 5:00 AM ET

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Le cryostat forme le récipient étanche au vide qui entoure l'enceinte à vide d’ITER et les aimants supraconducteurs, agissant essentiellement comme un très grand réfrigérateur. Il sera réalisé en acier inoxydable avec une épaisseur allant de 50 mm à 250 mm. La structure est conçue pour 8 500 m3. Ses dimensions seront 29,4 mètres de diamètre et 29 mètres de hauteur. Le poids sera de plus de 3.800 tonnes, ce qui en fait la plus grande bouteille à vide en acier inoxydable jamais construite.

 



Il y a seulement quelques semaines, un groupe de chercheurs sur la fusion a utilisé de l'argent sud-coréen pour commencer la conception d’une machine dont personne ne pense vraiment qu’elle sera construite et qui probablement ne fonctionnera pas si elle l’était. Cela rend la machine juste un peu plus ridicule que celle de la France qui sera ou ne sera pas construite et qui, si et quand elle est enfin terminée, ne va certainement pas servir à quoi elle était destinée à l’origine. Si vous avez deviné que l'histoire de l'énergie de fusion peut être un peu bizarre, vous avez raison.

D'une part, l'histoire de l'énergie par fusion nucléaire est remplie de fous, bonimenteurs, naïfs et idéalistes qui rêvent de courir après la résolution des problèmes énergétiques de la planète. L'un des plus célèbres de tous, Martin Fleischmann, est décédé l'année dernière. Avec un collègue, Stanley Pons, Fleischmann a pensé qu'il avait converti de l'hydrogène en hélium dans un bécher de son laboratoire, il ne lui est jamais venu à l'esprit que s'il avait réussi il aurait libéré assez d'énergie pour que lui-même et ses acolytes aient été frits par le rayonnement dégagé par la réaction. Fleischmann n'était pas le premier : Ronald Richter, un expatrié allemand qui a réussi à s’emmêler dans les intrigues du palais de Juan Peron, a battu Fleischmann de près de quatre décennies et le nouvel intrigant, Andrea Rossi, ne sera pas le dernier.

La raison est facile à voir : Sur le papier, l'énergie de fusion a un potentiel presque illimité. La réaction de fusion libère une quantité extraordinaire d'énergie en agglomérant les atomes légers entre eux, comme ceux d'hydrogène, pour en faire des plus lourds, tels que l'hélium. (Essentiellement la fission est à l'opposé: Briser les atomes lourds, comme l'uranium, afin d’en faire des plus légers). La fusion est le processus même qui alimente le soleil et il est si efficace que nous aurions assez de carburant atomique sur terre pour satisfaire tous les besoins en énergie de notre civilisation et ce, essentiellement pour toujours. Le problème, c'est que c'est vraiment dur d’entrechoquer ces atomes ensemble assez fort pour qu’ils fusionent. Vous devez obtenir les températures extrêmes de dizaines ou centaines de millions de degrés Celsius, de sorte que les atomes vont assez vite pour démarrer la réaction. Mais à mesure que vous chauffez votre carburant, vous devez le garder concentré. Un plasma de 100 millions de degrés veut exploser dans toutes les directions, mais si vous allez garder la réaction active, il faut la garder enfermée. En quoi fabriquez-vous la bouteille?
La bouteille du soleil est la gravité. Parce que le soleil est si massif, plus de 300.000 fois la masse de notre planète, il a un énorme champ gravitationnel. C'est ce champ et ces contraintes qui compriment et contiennent l’hydrogène combustible et l'empêche de s'envoler dans tous les sens. Mais sans une masse de taille solaire pour fournir la gravité, on doit trouver d'autres moyens.

Une manière qui fonctionne à merveille consiste à utiliser une bombe atomique comme bouteille. Le 1er novembre 1952, l’Amérique a utilisé l'énergie de fusion en pour éliminer l'île du Pacifique Elugelab de la surface de la planète. Le dispositif au cœur du test « Ivy Mike » était essentiellement un grand réservoir froid d'hydrogène lourd. À une extrémité était une bombe au plutonium de type Nagasaki, qui, quand elle a explosé, a comprimé le combustible, l’a chauffé à des millions de degrés, et l’a gardé embouteillé. En une fraction de seconde, on a déclenché la puissance de feu d’un soleil à la surface de la Terre. La bombe qui a rasé Hiroshima était équivalente à environ 15 kilotonnes de TNT . Ivy Mike était d'environ 10 mégatonnes, près de 700 fois plus puissante. Et il n'y a pas de limite théorique supérieure de taille pour ces dispositifs si vous le désirez. (L'Union soviétique a fait exploser un monstre de 50 mégatonnes dans les années 1960.)

Le dispositif fonctionne , mais c'est une assez mauvaise solution pour les besoins énergétiques de la planète. Il est difficile de transformer une arme à fusion en un fournisseur d'électricité sans danger. Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas cherché à tirer parti de la bombe H. Edward Teller, le père Dr Folamour de Ivy Mike, a tenté de convaincre le monde que les armes de fusion pourraient être utilisées à des fins pacifiques, contrôler la météo, extraire le gaz de schiste, tailler un port dans la roche massive en Alaska et même atomiser la Lune. Oui, Edward Teller voulait atomiser la Lune, selon ses propres termes, pour « observer le genre de perturbations que cela pourrait causer. »

Le rêve de Teller d'énergie de fusion illimitée n'est pas mort avec lui. Le Laboratoire National Lawrence Livermore, ancien terrain de jeux de Teller, est maintenant le site d'une monstrueuse machine de plus de 4 milliards de $, projet de fusion plus connu sous le nom de National Ignition Facility . L'idée est de compresser une pastille d’hydrogène de la taille d'un petit pois en utilisant un laser si énorme qu’il rendrait fier et rouge d’émotions un atomiseur de Lune. Le but présumé est de générer plus d'énergie par fusion des atomes d'hydrogène que l'énergie qui a été déposée par le laser. Et les scientifiques du NIF de prédire qu’ils vont atteindre le succès en 2010 ... puis, qu’ils vont réussir en octobre 2012 ... puis, le NIF a réussi à démontrer que les prédictions de succès des scientifiques de Livermore étaient complètement fausses. (NdT le projet Megajoule en est le pendant français).

C'est le score parfait. Livermore a prédit le succès imminent de la fusion par laser depuis la fin des années 1970, pour toujours échouer lamentablement à tenir toutes ses prévisions . En fait, les critiques (moi y compris) ont longtemps dit que toutes les représentations de NIF comme une source de l'énergie par fusion était des absurdités. Le laser est conçu pour l'étude des armes nucléaires, non pas pour produire de l'énergie. (Et il ne saura même pas très bien faire les recherches sur les armes.) Pourtant, les scientifiques de Livermore continuent à prétendre que leur recherche hyper-chère sur les lasers va produire d’une manière ou une autre de l'énergie de fusion, même si elles ont eu à passer l’idée qu’ils ont une chance de succès par une représentation digne de Rube Goldberg. (Pour ceux qui comptent les points, le tout dernier projet, aussi , sera un échec lamentable s’il est jamais financé.)

Livermore est loin d'être seul quand il s'agit de survendre la fusion. Dès 1955, avant l'invention du laser, les physiciens ont prédit que l'énergie de fusion serait disponible à la demande d’ici 20 ans . À l'époque, la seule méthode viable de mise en bouteille d'un nuage d'hydrogène de plusieurs millions de degrés, à moins de déclencher une bombe atomique, était d'utiliser des aimants géants. A cette époque, le nombre de scientifiques du monde entier ont tenté de concevoir des machines qui confineraient et chaufferaient des nuages hydrogène brûlants avec des champs électromagnétiques puissants. Cela n’a pas marché comme prévu, même après dizaines de dizaines d’années de faux départs, les bouteilles magnétiques étaient tout simplement trop peu étanches. Pourtant, l'énergie de fusion était encore toujours juste à portée de la main.

Fusion magnétique n'était pas seulement pour les américains, mais aussi pour les soviétiques, les allemands, les japonais, les anglais ; tout le monde qui comptait dans la recherche avait un programme de fusion magnétique qui pourrait alimenter le réseau dans les prochaines décennies à venir. C'est du moins ce fut le cas jusqu'au sommet américano-soviétique à Genève en 1985, où Reagan et Gorbatchev ont convenu que nos pays allaient rechercher ensemble l'énergie par fusion . En quelques années, tout le monde qui comptait faisait désormais partie du grand projet multimilliardaire de construction d'une bouteille de fusion magnétique géante connu sous le nom d’ITER.

Il faut un effort véritablement international pour créer quelque chose d’aussi puissamment tordu qu'ITER. Pourtant, si votre seule source d'information était la propre histoire du projet ITER , vous n'auriez aucune idée à quel point le projet a été chahuté dans les coulisses. Il n'est fait nulle mention des batailles homériques sur ses dépassements de coûts dans les années 1980 et au début des années 1990. Il n'y a nulle indication de la façon dont les scientifiques qui travaillent sur des projets nationaux de fusion – dont les budgets ont été dévorés par ITER – ont travaillé dans les coulisses pour faire couler le projet international. (Et ils ont réussi: En 1998, les États-Unis se sont retirés du projet, ce qui a renvoyé toute l'entreprise à la planche à dessin.) Il n'y a nul signe de la réduction spectaculaire de la taille de ITER (devenu ITER-Lite). Il n'y a pas non plus reconnaissance du fait que la nouvelle machine, moins chère, ne serait tout simplement pas en mesure d'atteindre l'objectif initial d'ITER d’ «allumage et combustion durable», une réaction de fusion qui peut être maintenue indéfiniment.

À la suite de ce retrait américain, les associés restants se sont regroupés, et repliés sur une conception économique et un budget minimal. Les Etats-Unis sont alors revenus, et les équipes de construction ont même commencé les travaux de fondations en France sur le site du réacteur. Mais en dépit de ces développements encourageants, le projet ressuscité est un naufrage, tiré vers le bas par les mêmes forces qui ont eu la peau du projet ITER original. Le budget minimal ( soi-disant autour de 5 milliards de $ Lorsque les États-Unis ont rejoint le projet) a enflé dans des proportions Falstaffiennes (la dernière estimation est de 20 milliards de dollars ), et chaque année, la date d'achèvement prévue ne cesse d’être repoussée. (Un coup d'œil rapide sur l'Internet Wayback Machine affiche les dates dans le flux .)

La trajectoire actuelle de la renaissance d’ITER est incroyablement familière à tous ceux qui ont regardé le projet original se faire descendre en flammes. D'abord vient coûts qui montent jusqu’au ciel et le glissement du planning, puis, inéluctablement, les États-Unis commencent à avoir des difficultés à assumer leur part du budget. En 2008 les responsables américains ont commencé à dire Congrès que, compte tenu des budgets serrés, nous n‘allions probablement pas être en mesure d'assumer notre part convenue des coûts du projet ITER. Dans une tentative de boucler le budget, le ministère de l'énergie a fortement comprimé notre programme de fusion nationale, mais il n'y a tout simplement pas assez d'argent pour tout le monde. (Comme Dianne Feinstein a demandé au secrétaire à l'Energie Steven Chu en Mars, "Et si nous continuons à financer [ITER], d’où viendront les 300 millions de dollars [pour notre contribution -bientôt annuelle- à ITER]?" Réponse du Secrétaire Chu « Sénateur, vous posez une question très importante que nous nous sommes posées . ») Naturellement, spécialistes nationaux de la fusion dont les budgets sont massacrés sont en train de paniquer.

Vu dans ce contexte, l'annonce récente par Princeton Plasma Physics Laboratory qu'il travaille avec la Corée du Sud pour concevoir un réacteur à fusion –qui n'a pas plus de chance d’être construit qu’une boule de neige en enfer d'exister– démontre le chaos qui a saisi la communauté de la fusion. Les scientifiques du PPPL promettent une usine prototype de fusion d'un milliard de watts de puissance pour les années 2030 (dans 20 ans!), sans l'aide des données issues du projet ITER. Puisque la justification du projet ITER est de contribuer à la conception d'une usine de démonstration de fusion, l'implication semble être que le projet de 20 milliards de dollars est à peu près inutile. (Sans aucun sentiment de dissonance perçue, même le site d'ITER suggère que les scientifiques vont terminer la conception d'une centrale électrique prototype en 2017 , deux ans avant qu’ITER ne soit branché, et au même moment souligne à quel point ITER est crucial dans la perspective à venir d'une centrale à fusion.)

Compte tenu de cette histoire, il est facile de comprendre pourquoi les dévots fanatiques attirés vers des approches peu orthodoxes pour obtenir l'énergie de la fusion, qu’ils soient les doux rêveurs de la fusion froide ou des systèmes imaginés par des startups qui ont plus de cash que de cervelle. Les scientifiques traditionnels qui ont été la poursuite du rêve nous ont laissé un peu plus d'un bouquet de promesses non tenues et un tas de désillusions. Et, si l'on veut les croire maintenant, après six décades de travail, l'énergie propre et presque illimitée de la fusion est toujours pour dans 20 ans. À ce rythme, ce sera ne changera jamais.