La construction des Grandes Pyramides

Jean-Pierre Petit, ancien directeur de recherche au Cnrs

Troisième partie : l'idée-clé : Machines de traction et de manutention

 


     Nous avons vu que la construction des grandes pyramides impliquait l'élévation de blocs de quarante tonnes à une hauteur de 70 mètres ( les dalles constituant le plafond de la salle sépulcrale de la pyramide de Khéops qui sont, comme on le voit sur le dessin ci-après en gros à mi-hauteur de la pyramide qui mesurait 146 mètres ).

 

Structure interne de la pyramide de Khéops ( G.Goyon )
( noter le mamelon sculpté en marches d'escalier )

 

     Si on ne résout pas ce problème on n'a rien résolu. Le bloc "standard" du corps de la pyramide est plus modeste : de une tonne à deux tonne et demie. celui-ci peut être tiré par un petit groupe de haleurs, sur un chariot glissant sur un lit d'argile mouillée. Mais pour ces énormes monolithes, s'ils sont tirés par les haleurs il faudrait alors envisager des équipes de 200 hommes, évoluant sur des rampes qui ne pouvaient être étroites.

     Des tas de gens ont imaginé toutes sortes de rampes possibles. La plus simple est la rampe linéaire de l'architecte français Lauer. Les dessins ci-après, empruntés à l'ouvrage d'Alberto Silliotti montrent le développement progressif d'une telle rampe, qui devrait conserver une largeur suffisante jusqu'à cette hauteur-clé de 70 mètres, quitte à la voir devenir plus étroite au dessus, là où les blocs à amener sont de plus petite taille.

 

Rampe linéaire

 

     Celle-ci est à très forte pente et présenterait, au stade 2, des problèmes de hâlages insolubles. Par ailleurs il ne faut pas oublier que si les blocs de grande taille étaient amenés par le Nil il leur faudrait franchit une falaise naturelle de 40 mètres. Ci-après l'allure d'une rampe linéaire présentant une pente permettant le hâlage, avec une pente de 5,6 %.

 



     On avait dit plus haut que le simple remorquage d'une monolithe de 7à tonnes sur du terrain plat nécessitait 200 hommes. Ici le simple fait d'avoir à lutter contre la pente ajouterait une force de 5 tonnes, soit 300 hommes supplémentaires. Sur une telle pente il faudrait donc 500 hommes pour tirer un simple bloc de 70 tonnes sur une pente inférieure à 6 %. Faites le calcul pour des pentes supérieures. En regardant le dessin ci-dessus on imagine le volume de brique crue ( dont on devrait alors trouver la trace et qui excèderait amplement le volume de la pyramide elle-même ) qu'il faudrait mettre en œuvre pour construire cette rampe, qu'on devrait par ailleurs surélever en même temps que la construction de la pyramide, strate par strate s'effectuerait. Décidément, ces pyramides nous posent un problème formidable, qu'il faudra bien résoudre avec les techniques du temps puis qu'elles sont bel et bien là et que des hommes qui ne connaissaient pas le fer les ont construites.

     Georges Goyon a ensuite imaginé une pente hélicoïdale qui met en œuvre des quantités moindres de brique crue. Mais cette rampe présente plusieurs défaut. Primo elle enveloppe complètement la pyramide. Goyon imagine alors les blocs constituant le corps de la pyramide ainsi que les blocs de revêtement sont mis en place au même moment, au fur et à mesure que celle-ci se construit. Mais il y a alors un problème : à quoi accrocher cette rampe ?


La Rampe hélicoïdale, en brique crue, imaginée par Georges Goyon

 

     Dans la thèse de Crozat on trouve un dessin montrant trois types de rampes :

 

 

     A gauche la rampe de Lauer. Au centre celle de Goyon, à pente constante et à largeur décroissante. A droite le concept de " Rampe engagée ", plus astucieuse et plus économique que celle de Lauer, qu'utilise Crozat.

     La rampe hélicoïdale de Goyon, enveloppant totalement la pyramide est nécessairement large, pour permettre à 300 hâleurs d'évoluer à la fois, de de prendre des virages. Vingt quatre mètres dans les marties basses ! Problématique. Pour l'accrochage de la rampe, voici ce que notre archéologue suggère ( les dessins sont extraits de son propre ouvrage ) :

 

L'accrochage de la rampe en briques crues imaginée par Georges Goyon : sur les bossages de blocs de revètement, non finis.

 

     Il suffit simplement, selon lui, de laisser dépasser des extrémités de blocs et d'armer le tout avec des troncs de palmier. N'importe quel spécialiste de mécanique des sols dirait alors que cette rampe, chargée avec des blocs de 40 tonnes se décrocherait instantanément.

     Un lecteur, Christophe Gouzou, ingénieur HEI, soulève une objection , bien que cette théorie de la rampe en brique crue soit celle ( selon Wikipedia ) qui soit la plus acceptée par les égyptologues. Il n'y a pas, fait remarquer Gouzou, que le problème de l'accrochage de cette rampe sur les vagues reliefs d'un revêtement non-fini. Il y a le fait que 300 haleurs auraient bien du mal à exercer leur force de traction dans les virages. Les dessins sont là pour le suggérer. En effet, quand la traction des charges était encore hippomobile on ne pouvait pas positionner des pièces d'artillerie d'une quelconque importance sur des montagnes, ce qui aurait accru leur portée. En terrain non-accidentée des canons pouvaient être tirés par les "prolonges d'artilleries" avec six chevaux. Mais au moindre virage, seuls deux chevaux pouvaient tirer.

 

 

     Mais, rendons justice à Georges Goyon : il avait pensé à cette objection en imaginant qu'à chaque virage pourrait être disposée une sorte de grosse poulie de renvoi :

 

Prise de virage ( rampe hélicoïdale de Georges Goyon )

 

     On imagine qu'après le virage ce plot serait enlevé pour faciliter le ripage du chariot transporteur.

     Il reste un problème additionnel. Avec une telle technique les pyramides devraient être construite à l'aveuglette. Aucun moyen de repérage (centimétrique !) ne pourrait être utilisé. Les bâtisseur ne découvriraient leur œuvre qu'au moment où ils la déshabilleraient de sa rampe enveloppante. Goyon a bien conscience du problème, qui écrit dans son livre : " Les Égyptiens ont dû t sûrement utiliser un moyen de repérage dont nous avons perdu le secret puisque ces pyramides ont été construites".

     Certes...

     En dehors de cette tentative, un peu plus plus élaborée que les autres, on en trouve des plus fantaisistes. A partir d'un unique vestige archéologique on a imaginé un système d'élévation des blocs par un "'ascenseur oscillant".

 

" ascenseur oscillant ". A gauche, le vestige archéologique ayant servi de base à cette élucubration

 

     A aucun moment ces apprentis-entrepreneurs en bâtiments ne calculent le nombre d'opérations et de machines qui seraient nécessaires pour mettre en place deux millions et demi de mètres cubes de pierres. La palme revient à cette illustration du dix-neuvième siècle, qui préconise l'usage du levier :

 

Usage de leviers. XIX° siècle

     Le bloc que des manutentionnaires parviennent à soulever et qui repose sur la premier marche de la pyramide semble mesurer 7 mètres de long et présenter une section d'un mètre par un mètre. Il représente donc à vue de nez 7 mètres cubes de pierre, dont la densité est de 2,6 tonnes au mètre cube (calcaire ou granit). La pierre pèse donc 18,2 tonnes. Il y a donc 9,1 tonnes par bras de levier. Ceux-ci semblent fournir un coefficient d'amplification de la force d'un facteur trois. Au bout de chaque bras six hommes ont donc 9,1/3 = 3 tonnes à tirer, soit 500 kilo pour chaque homme.

     Un homme ne pouvant pas tirer plus que son poids, j'en déduis que chacun de ces hommes exceptionnels pèse une demi-tonne

     Dans un ouvrage récent cette gravure "illustre une interprétation possible du passage d'Hérodote ( Histoires, II, 125 ) dans lequel l'historien grec explique la technique utilisée par les Egyptiens pour soulever les blocs en employant des machines munites de "morceaux de bois courts".

     Mais que dit Hérodote exactement ? Cela vaut la peine d'y regarder de près puisque c'est le seul élément philologique dont nous disposions. Commençons par présenter le texte grec :

a

     Une traduction en anglais. Source : http://ancienthistory.about.com/library/bl/bl_text_herodotus_2.htm

 

125. This pyramid was made after the manner of steps, which some call "rows"[106] and others "bases": [107] and when they had first made it thus, they raised the remaining stones with machines made of short pieces of timber, raising them first from the ground to the first stage of the steps, and when the stone got up to this it was placed upon another machine standing on the first stage, and so from this it was drawn to the second upon another machine; for as many as were the courses of the steps, so many machines there were also, or perhaps they transferred one and the same machine, made so as easily to be carried, to each stage successively, in order that they might take up the stones; for let it be told in both ways, according as it is reported. However that may be, the highest parts of it were finished first, and afterwards they proceeded to finish that which came next to them, and lastly they finished the parts of it near the ground and the lowest ranges. On the pyramid it is declared in Egyptian writing how much was spent on radishes and onions and leeks for the workmen, and if I rightly remember that which the interpreter said in reading to me this inscription, a sum of one thousand six hundred talents of silver was spent; and if this is so, how much besides is likely to have been expended upon the iron with which they worked, and upon bread and clothing for the workmen, seeing that they were building the works for the time which has been mentioned and were occupied for no small time besides, as I suppose, in the cutting and bringing of the stones and in working at the excavation under the ground ?

 

 
 
       [106] {krossas}
     [107] {bomidas}

     Ces deux mots sont identifiables dans le textes :

      

     Voici ma propre traduction de ce texte anglais.

 

125. Cette pyramide était faite en utilisant des [sorte de marches d'escalier], que certains appellent des [des rangées, des rampes au sens de structures horizontales, en ligne] et d'autres [des supports, des soubaussements, des bases] : et quand ils avaient fait cela ils élevaient les pierres restantes avec des machines faites de courtes pièces de courtes [poutres]. Ils commençaient par élever les pierres depuis le niveau du sol jusqu'à celui de la première rangé, jusqu'au premier niveau. Et quand ces pierres étaient en place on disposait une seconde machine à la hauteur de ce premier niveau qui [tirait, halait] les blocs jusqu'au niveau suivant. Il y avait autant de machines que de niveaux. Peut être transportaient-ils la machine d'un niveau à l'autre, car elles étaient faciles à transporter. De cette façon ils pouvaient élever les blocs. D'après ce que j'ai entendu, les deux systèmes ont été utilisés. Quoi qu'il en soit ils commençaient par achever les plus hautes parties de cette construction et procédaient par la suite à la finition, qui était la tâche numéro deux. La finition s'effectuait du haut vers le bas. Sur les pyramides il existe des inscriptions en égyptien qui disent combien fut dépensé pour fournir des radis et des oignons aux travailleurs, ainsi que des poireaux et, si je me souviens bien, selon la traduction que m'en avait fait mon guide figuraient également les dépenses faites pour le fer, le pain et les vêtements fournis aux travailleurs. Ils s'occupaient de cette construction pendant le temps qui a été mentionné et devaient consacrer un temps non négligeable pour découper et apporter les pierre à partir d'une carrière souterraine ?

 


     Et voici une traduction de Jacques Lacarrière, extraite de "En cheminant avec Hérodote", Paris, Seghers, 1981, p. 142.

 

"Pour la construire {cette pyramide}, on établit d'abord une succession d'assises, appelées ici "corbeaux" ou "soclets" (note de JPP : soclet n'est pas dans le Larousse). Cette première forme établie, on hissa le reste des pierres à l'aide d'engins en bois. On les montait du sol jusqu'à la première assise puis, de là, le bloc passait à une autre machine qui le hissait jusqu'à la seconde assise, et ainsi de suite (il devait donc y avoir autant d'engins de levage que d'assises). Il se peut aussi qu'on ait utilisé un seul engin, facile à transporter, qu'on installait successivement sur chaque assise, une fois la pierre retirée. J'indique ces deux méthodes, puisque j'ai entendu les deux versions. On acheva d'abord le sommet, puis les assises immédiatement inférieures, et on redescendit jusqu'au niveau du sol. Des inscriptions indiquent combien de raifort, d'oignons et d'ail furent consommés par les ouvriers pendant la construction. Si je me rappelle bien le chiffre traduit par l'interprête qui m'accompagnait, il y en eut pour mille six cents talents d'argent. Si c'est vrai, combien n'a-t-il pas fallu dépenser pour tout le reste, les outils, les autres aliments, les vêtements, pendant les vingt ans que durèrent les travaux? Sans compter qu'il a fallu tailler les pierres, les amener, creuser le canal, ce qui n'est pas rien!"

 


     Ici une traduction au mot à mot de la portion technique du texte faite par Robert Ash, résidant au Japon, titulaire d'un CAPES de lettres classiques :

 

Cette pyramide était faite ainsi: à la manière des marches ["anabathmos": degré, marche d'escalier ] que certains appellent "pierres saillantes" [ " krossai" ] , d'autres "petites plates-formes élevées" [ "bomides" ] ; lorsqu'ils l'avaient faite ainsi en première étape, ils levaient [ "airo": 1- lever, soulever, 2 - lever pour apporter ou emporter, 3- enlever, supprimer, détruire ] les pierres [ "lithos" ] restantes au moyen de machines [ "mèchanè" ] faites de pièces de bois [ "xylon": bois ; 1 - bois mort, souche, tronc, morceau de bois; au pluriel: morceaux de bois, pièces de bois pour la construction des navires, 2- bois vivant ] de courte longueur ["brachys": court ] ; d'abord ils les levaient [ "airo" cf supra] à partir du sol [ "khamathen" ] jusque sur la première rangée [ "stoikhon": rang, rangée ] des marches; lorsque la pierre avait gagné [ "aneimi" : 1 - s'élever , monter (sur une hauteur) ; 2 - gagner (la haute mer) ] cette dernière, elle était placée [ "tithèmi": placer, poser ] sur une autre machine dressée [ "histèmi" : 1 - placer debout, dresser, ériger, 2- soulever, pousser en haut, 3 - fixer, immobiliser ] sur la première rangée; et à partir de cette dernière, elle était hissée [ "helko" : tirer, hisser (un bateau, des voiles) ] jusqu'à la deuxième rangée sur une autre machine ...

 

 
  
A chacun le soin d'interpréter ce texte d'Hérodote. On retiendra que les plate-formes étaient petites. Le texte cadre mal avec des rampes de 24 mètres de large. De plus il s'agit de "pierres saillantes", de "marches". Que peut-on entendre par "des bois courts" ? Disons que dans l'antiquité il était courant de manoeuvrer des pièces de bois de dimensions importantes. La machine que j'ai tenté de reconstituer serait faite de poutres de bois dont la longueur serait inférieure à dix mètres. De toute manière le texte d'Hérodote se centre sur ces machines dont les prêtres égyptiens lui avaient parlé. On n'y fait pas mention de masses humaines atteignant 500 individus, hâlant des monolithes. Si on suit l'esprit de ce texte, des machines de dimensions relativement modestes permettraient de hisser les blocs les plus imposants. On voit mal alors dans ces conditions de telles machines soulevant ces blocs, à moins d'opter pour l'illustration totalement fantaisiste représentée ci-dessus. Donc, si on ne soulève pas, on traîne. Et on a vu que la technique de traînage de charges de dizaines de tonnes sur des sols rendus glissants grâce à de l'argile humide était courante dans l’Égypte de l'Ancien Empire. Peut-on associer ce traînage à l'action de "machines faites de bois courts" ? Il me semble que la réponse est positive. Mais, pour ce faire nous allons devoir aller chercher une autre information liée à la découverte archéologique d'une pièce de basalte, à proximité de la pyramide de Khen Kawoues, la fille de Snéfrou, qui se trouve sur le plateau de Giseh, précisément là où la flèche pointe.

 

Localisation de la pyramide de la reine Khent Kawoues, fille du pharaon Snefrou

 

     Ci-après, un gros plan de cette pyramide

 



La pyramide de la reine Khen Kawoues, fille du pharaon Snefrou

 

     Dans son livre Georges Goyon dit qu'il avait trouvé autour de cette pyramide les restes d'une rampe hélicoïdale en brique crue. La dernière fois que je suis allé à Giseh j'ai bien inspecté les lieux. Et, franchement, je n'ai pas trouvé grand chose de probant.

     Aux abords de la pyramide de Khentkaouès, à Giza, l’archéologue Selim Hassan a découvert en 1932 [1] un étrange objet en basalte de 24 cm de long sur 18 cm de large dont la fonction n’a jamais été élucidée à ce jour.

 

L’objet découvert près de la pyramide de Khentkaouès, à Giza

 

     Un objet similaire, bien qu’un peu plus long (37 cm), en schiste, sans doute à peu près contemporain a été découvert par Reisner tout près du précédent dans les vestiges du temple d’accueil de Mikérinos à Giza. Différentes hypothèses quand à l’intégration de ces objets dans une éventuelle machine ou structure ont été émises. Dans tous les cas de figure on ne dispose que d’un objet, non de données archéologiques ou textuelles. On ne peut que hasarder des hypothèses.

     Celui-ci possède une sorte d’embase tronconique percée d’un trou, ainsi qu’une partie circulaire, flanquée de deux joues en forme de demi-lunes, porteuse de trois gorges destinées à supporter trois cordes. Nous allons intégrer cet objet dans un dispositif qui pourrait être une des clés du transport de charges très lourdes dans l’ancienne Egypte, par exemple les mégalithes constituant les éléments du plafond de la chambre sépulcrale de Kheops.

 

 

Implantation de l’objet de Khentkaouès

 

     Complétons ce dispositif. Les cordes ne glissent pas dans ces gorges, la pièce servant simplement à retransmettre les efforts dans le madrier travaillant en compression, dans lequel se loge l’embase tronconique verrouillée par une cheville.

 

Machine de traction


     Le dispositif est composé de deux poutres, de longueurs R et r,  solidaires d’un axe. Avec les trois cordes fixées à l’extrémité de la plus longue, celles-ci composent un triangle rectangle. L'ensemble se comporte comme un levier. Lorsque des ouvriers opèrent une traction correspondant à la force f ce système transmet par l’intermédiaire des cordes une force F qui correspond à une multiplication de la force musculaire par le rapport R/r . Donnons quelques chiffres. En terrain plat un haleur est capable de développer pendant plusieurs heures une force de traction de douze kilos. S’il tire sur une corde il peut développer une force qui peut atteindre son propre poids, en se pendant à celle-ci. Sans aller jusque là évaluons cette force de traction à trente kilos. Ce dispositif peut être installé de différentes manières, selon la façon dont l’axe de rotation est fixé au sol. Dans le cas qui nous intéresse, pour des raisons qui seront développées plus loin, la machine est configurée pour s’adapter sur une culée et fonctionner en traction, mais des engins de chantier plus petits  pourraient être arrimés au sol à l’aide de piquets et manœuvrés en pesant sur l’extrémité de la poutre. Considérons les paramètres suivants : Longueur de la poutre longue : R = 10 mètres. Longueur de la poutre courte : r = 1 mètre. Facteur d’amplification : 10. Déplacement de l’extrémité de la poutre longue : 2 mètres (rotation de 12°).  Avec une telle machine un homme tirant sur une corde avec une force de trente kilos, sur une longueur de deux mètres exerce une force horizontale de trois cent kilos, travaillant sur une distance de vingt centimètres. Telle quelle, cette machine semble peu commode dans la mesure où, si elle permet de développer des forces très importantes, elle n’assure le travail de ces mêmes forces que sur des distances relativement faibles. Mais si on couple deux de ces engins, travaillant en alternance, on obtient une machine d’une étonnante efficacité.


 

Machine inspirée par l’objet de Khentkaouès
 

     Le dessin parle de lui-même. Deux équipes, placées en contre-bas et non représentées, tirant en alternance sur des cordes (force f )  développent une force F, transmise horizontalement et alternativement sur les deux jeux de cordes arrimés sur la charge par un système de taquets, voir figure 5. Il existe un système plus simple et plus rapide qui permet de rendre très rapidement une charge solidaire d’une corde de traction de fort diamètre. C’est le nœud de halage que les alpinistes appellent aussi le « nœud de Prussik», qu’ils utilisent pour s’assurer. Extrêmement simple, il était probablement connu des Egyptiens. On décoince ce nœud très facilement, d’un simple geste du pouce. Le nœud coulisse alors librement sur la corde. Ce nœud est « auto-coinçant » et fournit une prise extrêmement solide si les deux cordes fines sont sollicitées comme sur le dessin B. Ceux qui ont pratiqué l’alpinisme savent que ces nœuds ne glissent pas : plus la traction est forte et plus le serrage s’accroît.  Un ouvrier accroupi sur le mégalithe à tirer peut ainsi enchaîner les glissements de nœuds très rapidement. En fait il accompagne le mouvement du bloc en continu, de telle manière que dès que le second jeu de cordes est mis en tension, celles-ci peuvent jouer leur rôle. Avec un tel système et une bonne coordination des manœuvres  un mégalithe pourrait glisser sans temps morts.

 

 

Nœud de halage, schéma

Un noeud auto-serrant

Mise en oeuvre d'un couple de machines de traction, travaillant en alternance

 

     Nous conjecturons, bien qu’il n’existe aucune trace archéologique ou textuelle, que des systèmes plus légers pourraient avoir été utilisés pour d’autres tâches comme par exemple tirer un lourd vaisseau à terre, sur une plage, ou opérer son déséchouage sur un haut fond.

     Dans ce qui sera développé par la suite on imaginera, de manière purement spéculative que des machines de ce type puissent être installées à chaque virage d’une rampe hélicoïdale en pierre (et non en brique crue comme dans la théorie de G.Goyon [3] ) à faible pente et puissent permettre d’envisager le halage des mégalithes sur un quart de tour. Commençons par évaluer la force de traction à développer pour permettre à de tels mégalithes de glisser sur un lit d’argile humide (Chevrier [4] ). Ce sont les Egyptiens eux-mêmes qui nous apportent la réponse, concernant la friction. Sur un bas relief datant de la XII° dynastie (Djehouthotep), reproduit plus haut on voit 172 hommes tirer sur un terrain plat une statue dont le poids est évalué à 60 tonnes, ce qui donne 2,86 hommes par tonne.  En dehors des mégalithes, qui représentent des charges exceptionnelles, la masse du « bloc standard » de la pyramide de Kheops est évaluée à 2,5 tonnes, chiffre porté à 3 tonnes par Georges Goyon en tenant compte du poids du traîneau et des accessoires, charge qu’une équipe de 8,6 hommes peut haler en continu en terrain plat. Sans le recours à des machines il faudrait prévoir des équipes de 120 haleurs pour tirer les blocs de 42 tonnes, sans déclivité, sans tenir compte de la composante P sin a du poids P, a étant l’angle de montée d’un segment de rampe donné. Chaque haleur étant capable de développer une force de douze kilos pendant une longue durée ceci représente une force de 1,4 tonne. Comme nous verrons par la suite la rampe suggérée est à pente croissante, celle-ci ne devenant importante que tout près du sommet. Jusqu’à une altitude de 70 mètres elle reste inférieure à un pour cent (voir, plus loin, le graphique de la figure 20). En ajoutant la composante horizontale du poids la force à déployer monte à 1800 kilos, ce qui nécessiterait cent cinquante haleurs. Mais le même travail peut être assuré par des machines de Khentkaouès manœuvrées par un nombre d’hommes dix fois à quinze fois plus faible. S’agissant des « blocs standards », fixés sur leurs chariots dès leur extraction de la carrière, ceux-ci pourront être hissés sur la rampe en continu par dix hommes, la force totale étant de cent kilos pour la friction, plus trente pour la composante horizontale du poids. Ce système permet l’usage d’une rampe étroite, clé de la méthode qui va être développée dans ce qui suit, sur laquelle des équipes réduites de haleurs pourraient prendre place sur celle-ci pour monter des blocs de 2,5 tonnes. Il serait par contre exclu d’y faire se déployer 150 hommes halant des mégalithes de quarante tonnes. Ceci n’est alors possible que grâce à la machine que nous venons de décrire.

 

Arrimage et manœuvre d’un mégalithe.


     Chaque élément de rampe est relié au suivant par une plate-forme carrée horizontale sur laquelle une machine M amène le mégalithe. La charge ne risquant plus de glisser, celle-ci est détachée de cette machine M et couplée à la machine suivante M’ qui assure sa rotation de 90° par ripage, puis son halage sur le segment de rampe suivant. Ces machines (soixante en tout) peuvent ainsi assurer un relais et monter ces charges à 70 mètres de hauteur avec des temps morts minimaux. Le long des segments de rampe les mégalithes sont halés pratiquement sans temps morts à une vitesse quasi-constante qui à notre avis pourrait dépasser un mètre-minute. Un contremaître règle les opérations. Juché sur le mégalithe, un ouvrier, pendant qu’un des jeux de corde travaille, avale le mou et ré-arrime le second jeu sur les taquets correspondants ou à l’aide de nœuds de halages. Un autre, à l’arrière, s’assure que les cordes ne s’emmêlent pas tandis qu’un troisième veille à humecter l’argile du chemin de glissement. Si on y regarde de plus près cette machine, sous ses multiples variantes se présente comme une concurrente du moufle. Par opposition à celui-ci il n’est pas nécessaire pour remettre le système de traction en état de ravaler un métrage important de cordes. Dans cette machine, inspirée par l’objet de Khentkaouès les cordes de traction restent à poste.

     On notera au passage que cette machine, une variante du simple levier, peut également être utilisée pour soulever des charges très importantes.

 

 

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